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Éditorial volume 1, par Marie-Ève Garand

Marie-Eve Garand
Directrice CÉINR

Après en avoir longtemps discuté, le conseil d’administration du CÉINR a décidé, en avril 2013, de relancer la revue Ouverture, qui était la revue du Centre d’information sur les nouvelles religions (CINR) au début des années 1980. Cette relance n’est pas simple répétition du même. Elle poursuit les objectifs développées à la suite des changements survenus au sein de cet organisme devenu récemment le Centre d’écoute et d’interprétation des nouvelles recherches du croire (CÉINR)[1]. Ce changement est signifié par l’ajout d’un « s » à Ouvertures, ce qui nous semblait correspondre à la volonté des membres du CÉINR. Nous y reviendrons.

Pour l’instant, j’insiste pour dire la joie que j’éprouve à vous présenter le premier numéro d’Ouvertures. La participation des auteurs qui ont accepté de contribuer à ce numéro en mettant en jeu leurs perspectives de recherches et leurs orientations cliniques concernant les dimensions de l’écoute et du croire est, à mon avis, prometteurs des échanges et des dialogues qui pourront être ouverts dans cette revue. Je tiens à remercier chacun d’entre eux.

Cela dit, il convient de mentionner tout de suite que ce numéro est loin d’être parfait. Malgré les heures passées par une équipe de bénévoles déterminés, des difficultés liées à la mise en page d’une revue qui a pour plateforme le web ont compliqué la mise en page et la présentation. Le choix éditorial de présenter la revue et de la lancer dans le cyberespace avec ses imperfections se justifie par la volonté de  ne pas retarder encore davantage cette publication. Le contenant n’étant pas le contenu, je prie les lecteurs de considérer ce numéro comme l’ébauche de la revue telle que l’équipe du CÉINR ambitionne d’avoir.

À cet égard, il importe de dire que le ton des articles présentés dans la revue, autant que la qualité des échanges qui ont découlé des relectures d’articles, laissent entrevoir la pertinence et la richesse d’une revue consacrée aux thèmes de l’écoute et du croire dans une perspective de dialogue et d’ouverture. Cela me confirme, à titre de directrice du CÉINR, la pertinence d’un organisme communautaire qui, en raison de son travail quotidien auprès des gens concernés par une expérience de croyance extrême de type sectaire, religieuse ou spirituelle, fait des thèmes de l’écoute et du croire ses axes de recherches privilégiés pour ouvrir un espace d’écoute et de recherche différents, un espace qui accepte de prendre en compte le sujet.

Le défi, qui consiste à ouvrir un espace de recherche pour que soit prise en compte la dit-mention du croire et la praxis d’écoute en tant que telle, n’est pas des moindres, du moins si l’on considère que nos sciences modernes tendent à exclure d’emblée ces aspects du champ de la recherche. En effet, le croire est rapidement relayé à la croyance, à la religion et à la spiritualité, où il apparaît alors comme une dimension qui se situe dans un rapport d’opposition à la science ou bien comme un objet que l’on pourrait saisir par la science. Ces perspectives orientent d’emblée un repli, voir une fermeture culturelle et sociale envers les différentes manifestations du croire dans la sphère publique. Pourtant, même si on cherche par tous les moyens, et même à coup de chartes des valeurs, à reléguer les signes et les symboles religieux dans l’espace privé, quelque chose du croire ne cesse de déborder. Ce débordement, qu’il soit vécu à l’aune de la religion, des sectes ou des spiritualités, produit une stigmatisation et parfois même une exclusion des personnes qui parlent de leurs expériences de croyance. Or, un tel repli ne survient pas par hasard. Que voile le dire des personnes qui affirment leur foi en Dieu ou aux anges et dont on ne veut rien savoir? Quelle est cette opération de l’esprit, pour reprendre ici les termes de David Hume, qui demeure encore à ce jour un des grands mystères de la philosophie?

Ces questions liées au croire ne sont pas exclusives. Elles permettent tout au plus d’ébaucher les traits des axes privilégier de la revue Ouvertures en ce qui concerne le croire. En ouvrant un espace de recherche destiné à étudier, analyser et prendre en compte la dimension du croire, je souhaite que ce terme, qui n’entre ni dans le vocabulaire traditionnel de la philosophie, de la théologie et de la psychanalyse, mais qui traverse pourtant chacun de ces champs puisse trouver ici un lieu pour être porté jusqu’au savoir.

Si longtemps, dans l’histoire de l’humanité, le croire a pu être compris en termes de croyances, de religions ou de foi, la coupure épistémologique entre science et religion a cependant produit un changement de paradigme majeur : le mouvement du croire n’est plus supporté par une croyance collective, mais déplacé dans le champ de l’individu et de la subjectivité. Ce déplacement n’est pas sans incidences. Il a provoqué un bouleversement des méthodes et des approches traditionnellement déployées pour prendre en compte la croyance dans sa logique propre. En effet, chacun pouvant maintenant construire ses croyances à la carte en fonction d’une panoplie d’offres ou de courants spirituels et religieux différents, il n’est plus rare d’entendre, dans le récit des personnes, des éléments appartenant à des horizons de croyances fondamentalement différents se juxtaposer les uns aux autres dans un rapport intime et singulier. Devant cette nouvelle configuration, les connaissances sur les religions, les sectes et les spiritualités apparaissent bien insuffisantes à expliquer ou discerner la manière dont les croyances font sens pour chacun. Ce problème pose de nouveaux défis aux chercheurs : comment construire des connaissances sur les groupes, les religions et les spiritualités, sans pour autant enfermer les expériences des personnes dans ces systèmes? Comment prendre en compte le croire et la croyance dans une logique qui admette la prise en compte du croire? De cette manière, serait-il possible de porter cet incroyable besoin de croire jusqu’au savoir et, partant de là, ouvrir un espace de recherche qui accepterait de prendre en compte la dimension du sujet concerné dans son être et dans son corps par ce mouvement qui l’agit parfois même à son insu?

Ces questions me conduisent à présenter le second axe de recherche privilégié par Ouvertures. Si, comme la pratiquedu CÉINR semble le montrer, le croire est une dimension qui concerne le champ du sujet, sa saisie implique donc comme second axe de recherche celui de l’écoute. L’écoute est un acte de sujet qui paraît aller de soi. Après tout, nous avons tous et toutes des oreilles et, à ma connaissance, il n’est pas possible de les fermer pour ne point entendre les sons, les bruits et la musique ambiante. Mais comme chacun le sait, entendre ne signifie pas écouter.

Nous tendons, en contexte québécois, à croire que le domaine de l’écoute est réservé au champ psy, au point d’extraire de ce champ nos méthodes de recherches et nos approches conceptuelles. Pourtant, si la psychologie a effectivement développé des approches, techniques et méthodes propres à l’écoute des comportements et des facultés cognitives des personnes, ces recherches ne cloisonnent certainement pas pour autant le champ de l’écoute.

Il s’agit certes d’un axe d’écoute important, mais pas de l’acte d’écoute en tant que tel. D’une part, parce que l’écoute, qu’on le veuille ou non, traverse les différents champs de recherches et pratiques issus des domaines de la théologie, de la philosophie et de la psychanalyse. En effet, que serait un philosophe, un théologien ou un analyste qui ne se servirait pas de son corps, en l’occurrence de ses oreilles, pour entendre un autre parler et écouter ce qu’il a à dire? L’acte d’écoute est un acte qui précède la mise au savoir méthodologique et épistémologique autant qu’il est modulé par ceux-ci. C’est-à-dire qu’avant même de pouvoir comprendre ce que dit l’autre, l’écoute implique un rapport de celui qui écoute à son corps. Est-il possible de prendre en compte le rapport d’écoute en tant que tel dans nos approches méthodologiques? Que pourrait produire cette considération du point de vue de la recherche et de nos pratiques cliniques? Par ailleurs, si l’acte d’écoute est un acte qui se supporte d’un sujet, cet acte est aussi modulé par nos champs disciplinaires et théoriques parce qu’ils viennent moduler la manière même dont nous entendons le dire des personnes. Ainsi, ce qui, dans le dire des personnes, retiendra l’attention du théologien, de l’analyste ou du philosophe n’est pas du même ordre. Pourtant, serait-il possible de mettre nos a priori méthodologiques en jeu et, au travers nos articulations respectives, dit-cerner, dans le respect des apports et des limites de chacun, les éléments qui façonnent nos compréhensions?

Ces quelques brèves considérations suffisent à esquisser les contours d’une réflexion philosophique, théologique et psychanalytique relative à l’écoute et au croire. Cette réflexion, je la souhaite emprunte de dialogue et d’ouverture. Non seulement en raison de l’importance qu’elle revêt aux yeux du CÉINR, mais aussi et en raison des possibilités que ces thèmes offrent, d’ouvrir de nouveaux espaces de recherches qui, je le souhaite, pourraient permettre que du sujet puisse advenir au cœur de nos démarches scientifiques.

[1] Le CINR est devenu en 2013 le CÉINR. Ce changement de nom est survenu afin de mieux rendre compte de la pratique du CÉINR et de son approche qui est tournées vers une écoute du croire.