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Apocalypse molle et Fascisme mou. Chroniques de la crise sociale et sanitaire de 2020, par Michel Boccara, vol. 4

Michel Boccara est sociologue, chercheur au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) – Université de Toulouse-Jean Jaurès, LISST ; directeur de recherche à l’école doctorale de recherches en psychanalyse de l’Université de Paris-Denis Diderot. Il travaille avec les Mayas yucatèques depuis 1976 et avec les Moosé (prononcer Mossi) du Burkina Faso depuis 1991, et anime un séminaire de recherche autour des sources de l’expression et du Gai savoir. Il a publié notamment une Encyclopédie de la mythologie maya yucatèque (édition maya-français et maya-espagnol) et réalisé une série de films Mémoires des Mayas (52 films édités). Pour voir ces films, lire des textes, avoir un aperçu de son travail sur le site, on peut aller sur son site : mayaboccara.com.

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Pour citer l’article : Michel Boccara, “Apocalypse molle et Fascisme mou. Chroniques de la crise sociale et sanitaire de 2020”, Revue Ouvertures vol. 4, Temps et Passages, p. 57-84

Introduction

Le texte que vous allez lire est composé de six chroniques écrites de mars à septembre 2020. Chacune de ces chroniques a été envoyée à un groupe d’ami(e)s, qui eux-mêmes les ont relayées. Elles avaient, et ont toujours, pour objectif de proposer des pistes de réflexion pour comprendre la crise de société que nous affrontons en ce moment, pour préserver notre liberté de pensée, d’analyse et d’action.  David Brême a reçu ces chroniques et m’a invité à répondre à l’appel de textes de la Revue Ouvertures dont il est le rédacteur en chef pour le volume 4 « Temps et passages » proposant de réfléchir sur le vif et librement sur ces événements pandémiques, ce que j’ai accepté, mais en précisant que chaque chronique a été écrite à chaud, en suivant l’exemple de Marc Bloch écrivant en 1942 une chronique de la drôle de guerre [1].

Comme je l’ai développé ailleurs : l’historien doit répondre avant d’écrire à la question pour quoi et pour qui faire de l’histoire [2]. Pour qui ? Pour ceux qui ont besoin d’avoir d’autres sources d’information et d’analyse que les médias officiels et gouvernementaux. Pour quoi ? Parce que nous ne devons pas attendre « le crépuscule » pour que la chouette de Minerve s’envole [3]… Ces chroniques sont donc publiées telles quelles. J’ai juste ajouté quelques notes (en précisant à chaque note « Note ajoutée le » suivi de la date de leur écriture) et une très brève conclusion.


Chronique n° 1 - 16 mars

Nous entrons dans un scénario d’apocalypse molle [4] qui correspond bien au fascisme mou dans lequel nous pataugeons depuis deux ou trois décennies (difficile de savoir quand ça a commencé : les prémices avec Mitterrand, dirais-je, une fois passée l’euphorie des premières années, mais peut‑être que je me laisse emporter par la répugnance que m’inspire le personnage).

Donc, nous pouvons observer les différentes attitudes des populations occidentale et asiatique (Afrique et Amérique latine sont beaucoup moins touchées, mais certains États commencent à être atteints) face à une menace d’apocalypse molle. Curieuse épidémie qui commence en Chine, devenue l’épicentre de la société industrielle et de ses dérives, et qui se poursuit en Europe occidentale, comme si le capitalisme à outrance avait facilité l’éclosion de cette épidémie.

Entre ceux qui disent « faisons confiance au gouvernement » et ceux qui soulignent ses incohérences, lesquels représentent la tendance moyenne ?

Les gens acceptent-ils le confinement comme la seule solution (ce qu’elle est peut‑être d’ailleurs) et sans critique ou bien remettent-ils en cause le modèle de société qui a rendu possible cette épidémie ? Va-t-on vers un spleen profond de la population ou bien va-t-on voir émerger de nouvelles formes de solidarité et de relations ? Tout va dépendre, certes, de l’évolution de l’épidémie, mais on peut voir déjà émerger certaines tendances. Comme au début de la Seconde Guerre mondiale, il y a très peu de résistants et on se demande aussi comment résister. Résister en 1939/40, c’était accepter la mort comme la conséquence d’une politique sociétale suicidaire sans en être responsable puisqu’on l’avait combattu de toutes ses forces. Mais aussi accepter la mort parce que la mort a toujours été « à notre gauche » même si nous ne la voyons plus. En effet, ce refoulement de la mort est très ancien, et le remettre en cause du jour au lendemain est insupportable pour la plupart. D’où la panique. Aujourd’hui, faudrait-il s’arrêter de vivre pour ne pas mourir ou plutôt être amoureux de vivre à en mourir ?

Face à cela, il y a l’exception britannique : acceptation de prendre le risque de mourir pour immuniser la population… une politique de sacrifice collectif pour un avenir meilleur. Je ne sais pas encore comment comprendre cette exception britannique. S’agit-il de la folie d’un premier ministre [5] ? De l’orgueil d’une nation ?

Mais, si le scénario que je pense le plus probable se précise, à savoir un pic puis un recul de l’épidémie après des milliers de morts, cette psychose collective aura permis d’avoir assisté à une répétition de « fin du monde ». Va-t-on reprendre la vie « as usual » comme le « bizness » après les crises (et en général le « bizness » ne reprend pas seulement « as usual », il reprend plus fort que « usual ») ? Ou bien la réflexion de la population mondiale, et des Français en particulier, sur les questions de l’environnement va-t-elle s’amplifier (Comme les premiers résultats des élections municipales, que l’incohérence gouvernementale a maintenues contre toute logique, le laissent entrevoir) ? Et cette prise de conscience environnementale va-t-elle aller de pair avec une certaine critique du système capitaliste ?

Les limitations de la circulation, des libertés individuelles et collectives font certes le jeu d’un fascisme mou, mais ce fascisme est lui-même débordé par la gestion de l’épidémie et s’en remet aux « religieux », c’est-à-dire au « conseil scientifique ». Comme les religieux, les scientifiques sont aussi soumis à l’angoisse comme tout le monde, mais aussi aux luttes de pouvoir et aux divergences idéologiques, comme le montre le « conseil scientifique britannique » dont l’opinion est exactement inverse de celle du « conseil scientifique français ». L’objectivité scientifique cache un océan d’ignorances et de contradictions d’où va émerger l’opinion moyenne, souvent celle des scientifiques politiquement les mieux en cour.

Observons donc, de notre petit point de vue local, quelles vont être les réactions de nos proches et de nos lointains :

  • Fuir les grandes villes ?

  • Appeler à l’obéissance et au civisme ?

  • Sombrer dans la déprime ?

  • S’envoyer joyeusement en l’air ?

  • Critiquer l’inconséquence et le manque de crédibilité du gouvernement ?

  • Voter écologiste ?

  • Voter pour l’ordre et la sécurité ?

Les paris sont ouverts ! En tout cas, plus que jamais, il nous faut préserver notre liberté de pensée, d’analyse et d’action.

Chronique n° 2 - 30 mars

1 L’angoisse

L’angoisse l’emporte sur l’idéologie… Des gens très à gauche peuvent être plus angoissés que des gens très à droite. La crise que nous traversons n’est pas liée aux opinions politiques, mais à la psychologie de masse : il est difficile de résister à la contagion de l’angoisse.

2 Les idéologies

Mais les idéologies ne disparaissent pas. Les menaces sur les libertés sont aussi importantes qu’hier et, la situation revenue à la normale, nos libertés pourraient être restreintes si nous n’y prenons pas garde. Rappelons-nous le XIXe siècle : l’hygiène a été le grand prétexte pour restreindre les libertés publiques et notamment la circulation dans les villes [6].

3 La science

La science n’existe pas : il y a des sciences, très différentes les unes des autres. Par exemple, entre la mathématique et la sociologie, les différences épistémologiques sont considérables, indépendamment des idéologies particulières des savants – leur idéologie spontanée – qui influent aussi considérablement sur leurs résultats : il n’y a pas de science pure, la pureté n’est pas de ce monde…

4 Les chiffres

On manipule les chiffres : on en ignore certains et on en valorise d’autres, plus encore si on est mathématicien ou statisticien. Je pourrais presque dire : les chiffres sont la première mythologie (je l’ai d’ailleurs déjà écrit en ce qui concerne la société maya), mais il me faudrait du temps pour l’expliquer. Le chiffre est l’illusion ultime, la subjectivité masquée derrière l’objectivité absolue…

Un exemple parmi d’autres de cette manipulation : passer sous silence le très faible nombre de personnes testées, ce qui est un biais fondamental pour calculer le pourcentage de morts parmi les infectés. Je viens de lire une longue tribune (deux pages dans le Monde du 24 mars s’il vous plaît) [7], d’un mathématicien italien (Paolo Giordano) qui ne dit mot de ce facteur. Il est sans doute de bonne foi, il l’a tout simplement refoulé !

Je vais également me fendre de quelques chiffres, choisis… et donc manipulés. En Allemagne, on a listé il y a quelques jours [8] 0,3 % de morts par rapport aux contaminés. Ce chiffre est environ 10 fois inférieur au chiffre d’autres pays où l’on a beaucoup moins testé, comme la France (3,6 %), la Chine (4 %) ou l’Italie (8,5 %) – pour reprendre sans les vérifier les chiffres de l’article du Monde. Christian Drosten, chef du département de virologie à l’hôpital de la Charité à Berlin, prévoyait que le taux de létalité allait monter dans les jours à venir tout simplement parce qu’il ne serait plus possible de tester tout le monde : « On aura l’impression que le virus est devenu plus dangereux […] Cela va seulement refléter ce qui se passe déjà, à savoir que nous passons à côté de plus en plus de cas d’infections» [9]. Autre chiffre intéressant : en un mois en France, il y a eu plus de victimes de morts à cause du tabac (un peu plus de 6 000 par mois) qu’à cause du Coronavirus. En Chine, depuis le début de l’épidémie, le nombre de morts en valeur absolue aurait diminué : en raison de certains facteurs « positifs » liés au ralentissement des activités économiques, par exemple la moindre pollution industrielle, la baisse des accidents de travail, des accidents de la circulation. C’est probablement aussi le cas en France.

5 Le cas du professeur Raoult

Ce professeur a proposé de tester tous ceux qui le désiraient et de traiter les cas positifs avec un médicament, la chloroquine, peu onéreux et bien connu. Ce médicament a été testé notamment en Chine, et a donné des résultats concluants qui restent à vérifier sur une plus grande échelle. Mais en France, les autorités refusent de soutenir l’emploi de ce médicament. Comment expliquer ce refus ? La jalousie des confrères ? Le fait que le médicament est bien connu, peu onéreux, tombé dans le domaine public et ne génère que peu de profits ? Tout cela à la fois ? Et comment expliquer que l’on souhaite autoriser son emploi uniquement sur les cas graves ? Cela est peu logique, car les cas graves peuvent présenter des complications plus fréquentes, ce sera donc une manière élégante d’évincer ce médicament.

6 Complexité du problème

Il y a beaucoup de facteurs qui peuvent brouiller notre réflexion :

  • Il y a une très forte contagion, mais un très faible taux de létalité.

  • Les morts ont dans leur écrasante majorité (plus de 90 %) plus de 65 ans

  • L’âge moyen des morts tourne autour de 80 ans.

  • Il y a des couches de population beaucoup plus exposées que les autres : les personnes très âgées, le personnel soignant, les caissier(e)s de supermarché.

  • Les malades graves doivent pouvoir bénéficier de soins intensifs, mais nos hôpitaux sont sous-équipés et le personnel soignant débordé.

  • Le stress, le confinement et l’isolement contribuent dans une mesure difficile à estimer, mais vraisemblablement importante, à augmenter la morbidité et la mortalité. En effet, il n’y a pas de maladies exclusivement somatiques (la pureté est un leurre, une illusion).

  • Juste avant d’imposer le confinement, le gouvernement maintient le vote du premier tour des municipales en traitant, en même temps d’inconscients ceux qui ont pique-niqué le jour du vote.

7 Que faire ?

C’est la question la plus difficile. Le confinement est le choix « par défaut » quand on n’a pris aucune mesure sérieuse en amont. Quand les hôpitaux sont surchargés, quand on ne traite pas correctement les plus vulnérables, quand nous n’avons plus de masques (en attendant les arrivées massives de Chine…), alors on confine, on enferme. C’est la même solution utilisée aujourd’hui pour traiter les fous : on enferme un fou dangereux. Il y a une quarantaine d’années, on essayait de comprendre, d’écouter, d’accompagner… aujourd’hui, on enferme. Et c’est encore la même logique pour les prisons surchargées.

Sortir de l’enfermement, c’est sortir de la logique de l’enfermement, cela prendra du temps. Si je suis optimiste, je pense que le coronavirus peut nous y aider. En tout cas, il nous montre les menaces induites par notre mode de vie, de production et de pensée. Le risque, c’est que, le coronavirus passé, tout redevienne « as usual », comme d’habitude (ça, je l’ai déjà écrit il y a quinze jours). Doit-on espérer que le coronavirus repasse comme le furet de la chanson ? Si nous voulons que les choses changent, il nous faudra nous y employer l’épidémie passée, et ne pas uniquement compter sur l’évolution des consciences.

8 La mort

On a l’impression que les gens redécouvrent la mort, mais la mort a toujours été là. Nous devons vivre avec la mort à notre gauche : à ce propos, je n’ai rien à dire de plus que ce que j’ai écrit il y a quinze jours. Nous ne savons pas vivre avec la mort. La mort, c’est exactement la même chose que la vie, disait le philosophe japonais Suzuki. C’est pourquoi il y a urgence à réfléchir aujourd’hui sur notre rapport à la mort et sur les changements de notre rapport à la mort, en lien avec la montée du capitalisme. C’est aussi pourquoi j’ai écrit il y a trois ans un livre sur la mort, un livre avec la mort : Des os pour l’éternité [10].

Chronique n° 3 - 18 avril

Quinze jours après mes deux premiers textes, voici une nouvelle tentative pour réfléchir sur la « situation singulière » [11] collective dans laquelle nous sommes plongés. Une bonne partie des références viennent du journal Le Monde, journal centriste, pour le caractériser de manière neutre. Mais une lecture éclairée du Monde, ce qui implique de lire en diagonale et de survoler bon nombre d’informations non pertinentes, permet d’en extraire, comme dirait Maître François (Rabelais), la substantifique moelle. Comme le disait un autre de mes amis, ce n’est pas les documents, mais la tête des gens qui manque (André-Georges Haudricourt).

1 Psychologie de masse

Les foules ne réagissent pas de la même manière que les personnes. La situation à laquelle nous sommes confrontés correspond bien aux critères d’une psychologie de masse du même type que celle que l’on rencontre dans les églises ou les armées : il est difficile de s’extraire de la manière commune de penser sans être immédiatement stigmatisé, voire sanctionné. C’est peut‑être ce qui est le plus instructif dans l’épisode auquel nous sommes confrontés. Quelle est la psychologie de masse que l’épidémie révèle ? Peut-on parler de Psychologie de masse du fascisme [12] mou ?

2 Retour sur les chiffres

  • En 1968, 30 000 morts en France lors de l’épidémie de la « grippe chinoise ».

  • En mars 2020, on compte 57 441 morts en France. C’est certes plus de morts qu’en mars 2019 (52 011), mais moins qu’en mars 2018 (58 641), lorsque la grippe saisonnière a fait plus de victimes (Chiffres de l’INSEE).

  • Le taux de 0,3 % de mortalité en Allemagne est confirmé : il est actuellement de 0,37 % [13].

  • Les autres épidémies et pandémies majeures (sida, paludisme, grippe saisonnière…) présentent toutes des chiffres de mortalité annuels compris entre trois cent mille et un million de morts dans le monde. C’est dans cette fourchette basse (pour l’instant) que se situe l’épidémie du coronavirus (actuellement autour de 150 000 morts [14]).

Que dire de ces chiffres ?

  • Il y a cinquante ans, les épidémies faisaient moins peur, voire pouvaient passer presque inaperçues, surtout dans un contexte où les luttes sociales marquaient davantage l’opinion.

  • Ce que nous vivons est une réaction à la mondialisation : nous formons aujourd’hui une seule population et, en même temps, nous voudrions revenir au temps des petits groupes isolés les uns des autres…

  • Le taux de mortalité, très faible, contraste avec la panique générale. Ce qui est en cause donc, c’est notre idéologie vis-à-vis de la maladie et de la mort : c’est tout notre modèle de la maladie, qui sépare les agents physiques, psychiques et sociétaux (environnementaux), qui est remis en cause.

3 La vulnérabilité

Comme pour la pollution, le réchauffement climatique, les retombées nucléaires, nous ne sommes pas égaux devant les virus. Les populations les plus vulnérables sont aussi celles qui sont les plus sensibles socialement et économiquement.

1) Dans les EHPAD

Notre manière de traiter la vieillesse est considérée comme inhumaine dans bon nombre de pays. Aujourd’hui, nous avons remplacé le terme « asile pour vieux » par l’acronyme « EHPAD » [15], sans voir l’assonance avec EPAVE… « Plus que la maladie, c’est souvent l’isolement qui afflige » [16]. Comment savoir si les morts sont dues au coronavirus ou à l’isolement excessif ? Dans certains cas, c’est criant, comme cette EHPAD de la Rosemontoise, dans le Territoire de Belfort, où 17 personnes sont mortes parce que les résidents n’arrivaient plus à manger, à se laver, à chier et à pisser… mais dans les autres ?

2) Les Noirs aux États-Unis

Partout aux États-Unis où elle est connue, la proportion des Afro-Américains emportés par l’épidémie de Covid-19 dépasse de beaucoup leur part dans la population. Cet écart est particulièrement frappant dans le comté de Milwaukee, dans le Wisconsin, où les Noirs représentent 70 % des décès alors qu’ils ne comptaient que pour 26 % de la population. Mais il est tout aussi élevé dans l’Illinois, à Chicago, ou encore en Louisiane [17].

3) L’Inde

D’après les informations que nous possédons, la politique de « prévention » (lire de « répression ») du gouvernement indien contre le Covid-19 fait très probablement plus de morts qu’elle n’en évite. L’Inde est proche d’affronter une catastrophe sanitaire et alimentaire liée aux déplacements forcés de population.

« En Inde, le confinement le plus gigantesque et le plus punitif de la planète », comme le titre l’écrivaine Arundhati Roy, dans un article du Monde publié le 6 avril. J’en cite quelques extraits :

Le confinement a agi à la façon d’une réaction chimique mettant d’un seul coup en lumière des éléments cachés. Tandis que les classes aisées se claquemuraient dans leurs colonies résidentielles [...] des millions de personnes appauvries, affamées, assoiffées, congédiées pour un grand nombre d’entre elles, par leurs employeurs et propriétaires, jeunes et vieux, hommes, femmes, enfants, malades, aveugles, handicapés entamèrent une longue marche de retour vers leurs villages. En rentrant chez eux, ils savaient pouvoir s’attendre à y mourir lentement de faim […]. En chemin certains ont été brutalement frappés et humiliés par la police […]. Quelques jours plus tard, inquiets à l’idée que cette population puisse répandre le virus dans les campagnes, le gouvernement a donné l’ordre de fermer les frontières interétatiques, y compris aux piétons, et ceux qui marchaient depuis si longtemps ont été obligés de rebrousser chemin vers des camps dans les villes qu’ils avaient été forcés de quitter. [18]

4) L’Afrique noire

L’économie africaine, déjà très précaire, risque dans les prochains mois, voire les prochaines semaines, d’être affectée de manière impressionnante. Cette situation aura de telles conséquences, notamment sur la survie des populations, qu’un chef d’État d’un pays européen a été jusqu’à proposer de supprimer massivement la dette africaine : « nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus plus efficacement, les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette » [19]. J’ai eu du mal à le croire quand je l’ai lu : il s’agit d’Emmanuel Macron [20].

5) Le supermarché de la culture

Avoir laissé ouverts les rayons « culture » des supermarchés est un choix singulièrement partisan et qui s’apparente clairement à de la concurrence déloyale, mais avec l’appui du gouvernement français, du même ordre que celle pour laquelle Amazon vient d’être condamné [21]. En effet, les supermarchés peuvent vendre, notamment, des livres et des jeux alors que les librairies et les boutiques de jeux sont fermées.

On aurait pu proposer (au moins) trois solutions différentes :

  • Ne laisser ouvert que le rayon alimentation des supermarchés…

  • Ouvrir aussi d’autres boutiques que les magasins d’alimentation, mais en régulant leur accès (quelques heures par jour et en limitant le nombre de personnes présentes dans le magasin)

  • Autoriser les rayons culturels des supermarchés, mais reverser une partie substantielle des bénéfices aux boutiques et librairies qui ne peuvent ouvrir.

4 À gauche toute ou à droite toute ?

J’ai lu que les politiques sociales-démocrates redevenaient à la mode [22], mais de quelle social-démocratie parle-t-on ? Celle qui se soucierait du bien-être des populations, ou celle qui a préparé bien des dictatures, que ce soit en Allemagne, en Argentine, au Brésil ? Mais n’est-ce pas la même ?

J’ai l’impression que le désir de sécurité va de pair avec une acceptation du contrôle des populations, voire une certaine délation des comportements anormaux ou marginaux. Est-ce la sociologie de l’occupation ou celle de la résistance qui nous attend ?

5 La mort, la vie, la mort, la vie

Au centre de nos peurs et de nos politiques : notre refus de considérer la mort comme aussi essentielle que la vie. La mort, la vie, au fond c’est la même chose, disait John Cage, musicien et penseur zen. Et pour développer un peu en utilisant les mots de Roméo, mon t’up [23] : comme disait nos amis Mayas, vie et mort ça n’est pas si différent au fond, c’est une autre forme de présence, une présence qui vibre à travers nous, moins incarnée peut‑être... mais plus osseuse ! Et l’os, c’est la moelle, c’est la vie. Un philosophe, André Comte-Sponville, pourtant très médiatique, ajoute : « tant que nous n’aurons pas accepté la mort, nous serons affolés à chaque épidémie. Et pourquoi tant de compassion geignarde autour du Covid-19, et pas pour la guerre en Syrie, la tragédie des migrants ou les neuf millions d’humains (dont trois millions d’enfants) qui meurent de malnutrition ? C’est moralement et psychologiquement insupportable » [24].

On constate un frémissement dans les médias. Pour la première fois depuis le début de la crise, j’ai lu une chronique dans le Monde du 15 avril sur notre rapport à la mort qui citait l’étude de Philippe Ariès, parue en 1975 : « la mort si présente autrefois, tant elle était familière, va s’effacer et disparaitre. Elle devient honteuse et objet d’interdit » [25]. Comme le dit Léon, mon frère burkinabé, dans un commentaire à mon texte du 30 mars, « la peur de la mort fait mourir la vie ».

6 La Science

« Il ne peut y avoir de consensus scientifique », selon une déclaration du porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, pour justifier la décision d’arrêter le confinement à partir du 11 mai, contre l’avis de plusieurs membres du Conseil scientifique (Le Monde du 17 avril). Elle était déjà intervenue le 9 avril sur cette question du consensus à propos du port du masque [26]. Ces déclarations du gouvernement sont en contradiction avec les positions antérieures qui considéraient La Science – sans distinguer de quelle science il s’agit – comme le guide de la politique.

Comme je l’écrivais précédemment : les idéologies particulières des savants – leur idéologie spontanée – influent aussi considérablement sur leurs résultats. Si le consensus n’est pas scientifique, c’est bien la notion même d’objectivité qui est remise en cause, et donc la nécessité de prendre en compte l’idéologie des savants comme élément important, voire déterminant, de leurs propositions.

7 Désir d’enquête, de quête, de savoir absolu…

De partout me parviennent des demandes concernant des enquêtes sur ce temps de confinement (notamment du CNRS, de mon équipe de recherche). Sans nier la pertinence de l’accumulation des données, il me semble que, plutôt que de vouloir accroître quantitativement nos connaissances, il s’agit de renouveler nos méthodes d’approche du savoir. Avec cette démarche essentiellement quantitative, on reprend ainsi un rêve humain très ancien, très actif notamment au XVIe siècle, lequel a fourni des modèles qui déboucheront au XVIIIe siècle sur les encyclopédies. Il s’agit plutôt d’accepter de « perdre » pour mieux « gagner ».

La terre tourne autour du soleil, Sherlock, vous le saviez tout de même ? Ah bon ? Voyez-vous, Watson, je l’avais oublié et je vais m’empresser de l’oublier à nouveau, car cette donnée ne me sert à rien pour vivre, elle m’encombrerait inutilement la mémoire, alors que j’ai besoin que celle-ci reste disponible pour des informations autrement plus utiles. [27]

La mémoire fonctionne autrement, pour être efficace, elle doit tout autant savoir oublier que se rappeler, de même que vivre, c’est tout autant savoir mourir que savoir vivre.

Chronique n° 4, 6 mai

La tonalité de cette chronique est plus philosophique. J’ai déjà cité le mot d’André-Georges Haudricourt dans ma troisième chronique : ce n’est pas les documents, c’est la tête des gens qui manque. J’ai plutôt cité les faits dans mes chroniques précédentes en faisant référence à des documents précis. Je me centrerai donc davantage dans cette chronique sur l’analyse.

1 Penser avec le virus

Une des conséquences de cette crise est qu’elle agit comme un révélateur de l’état du monde. Cependant mieux connaître nos faiblesses et nos contradictions ne nous servira pas à grand-chose si nous ne pouvons agir dessus. Notre méconnaissance des virus et de leur fonctionnement, le fait que la plupart sont « dormants » et se « réveillent » sans que l’on sache pourquoi, tout cela influence ce que j’appellerais le comportement viral de la société tout entière : les gens, dans leur grande majorité, ne savent plus pourquoi ils vivent, ni même si ce qu’ils font en ce moment est juste. Ils consomment donc chaque moment sans inscrire celui-ci dans la durée. Ils se comportent ainsi, sans le savoir, comme les grosses firmes capitalistes : ils recherchent le profit à très court terme.

La situation est schizophrénique : d’un côté on affirme que les scientifiques vont gérer le monde, de l’autre, on n’est plus sûrs de rien et on remet en cause, de fait, la réalité scientifique ; la réalité de la vérité scientifique.

Mai 1968 avait été un rêve dont les Français se sont réveillés douchés par la réalité. Mai 2020 prend la forme d’un gauchemar [28] dont la reprise de contact avec la réalité est censée nous sortir. Mais les deux « mai » sont porteurs de la même illusion, inversée. En réalité, nous ne croyons plus en nos rêves parce que nous ne les vivons plus.

2 Penser les catastrophes

En décembre 2018, j’ai animé, avec quelques amis, un séminaire sur les catastrophes à l’Université de Toulouse-Jean Jaurès. Je développais en gros les idées suivantes :

  • La catastrophe, pensée comme l’interruption soudaine d’une suite logique d’événements, pourrait bien être une des lois de notre univers. C’est du moins la théorie du paléontologue néo-darwinien et marxiste Stephen J. Gould.

  • Depuis quelques siècles – davantage si on prend plus de profondeur – les sociétés humaines, et plus particulièrement les sociétés industrielles, sont entrées dans une phase de développement où les déséquilibres d’origine anthropique sont de plus en plus importants. Et ces sociétés ont beaucoup de mal à réguler ces déséquilibres, voire à ne pas les accentuer.

  • La crise climatique n’est qu’une seconde vague suivant la première, laquelle s’est déclenchée le 6 août 1945 avec l’explosion d’une bombe nucléaire à Hiroshima puis à Nagasaki. Crise climatique comme crise nucléaire, aussi bien civile que militaire, menacent, à terme plus ou moins rapide (et la crise nucléaire pourrait bien aller plus vite que la crise climatique) l’existence même de l’être humain sur la Terre.

La crise actuelle n’a rien d’une catastrophe, mais elle la « fantasme ». La fin du monde est déjà à nos portes : le jour d’après, c’était le 7 août 1945 !

3 La loi et la famille

La racine du mot famille est famul, « serviteur » ou « esclave ». Originellement, chez les Romains, la famille était l’ensemble des femmes, des enfants et des esclaves soumis à l’autorité d’un homme.

Avec cette crise, j’ai entendu de plus en plus de personnes justifier leur peur et l’application de mesures strictes de confinement en renvoyant à leur famille, avec une justification comme celle-ci : « J’aimerais bien venir te rendre visite, mais mes parents ne veulent pas, ils disent que c’est irresponsable… ». Il n’y a (presque) plus besoin de flic ! Nous sommes en train d’implanter un flic en chacun de nous et la famille – valeur refuge – est un des lieux de ce « commissariat virtuel ».

Nous revenons aux origines de la famille, de la propriété privée et de l’État [29] : la famille devient un État en miniature, le lieu où la loi est enseignée et la propriété privée partagée inéquitablement.

4 Le jour d’après ?

Je ne fais pas cadeau de mon pessimisme à l’ennemi, ni d’ailleurs de mon esprit critique ! Je ne pense pas davantage que le jour d’après sera le jour du changement. Des organisations diverses, qui luttent contre les inégalités et pour les droits de la terre vont se réunir pour discuter du jour d’après. Des syndicats nous envoient des mots d’ordre : le jour d’après, je veux… En dépit de toutes ces bonnes intentions, il est difficile de mesurer qui va résister et qui va collaborer.

J’ai envie de comparer la situation d’aujourd’hui avec celle de 1940 : qui va résister à ce qui nous menace ? Je ne crois pas au contrôle total de nos vies et de nos déplacements, mais à quelque chose de plus insidieux, une capitulation molle et progressive qui viendra autant de la « droite sécuritaire » que de la « gauche protectrice ».

Mais je ne pense pas cette capitulation inéluctable. Pour s’opposer à la modélisation de nos désirs, il faut refuser de jouer au jeu avec les règles qu’on nous impose. Refuser l’usage des téléphones portables pourrait devenir un mot d’ordre crédible si demain les technologies de « localisation » étaient utilisées pour nous suivre à la trace.

5 De la communication et de la non-communication

Nous sommes envahis par une pluie incontrôlable d’informations, plus ou moins toxiques ! Le droit à ne pas communiquer est tout aussi important que celui à communiquer [30]. Commençons par limiter l’usage de la technologie et ne la laissons pas prendre nos vies, nos corps et nos esprits.

Si la parole est du silence avec des mots autour, n’oublions pas de laisser la place au silence.

6 Sur les rationalités économiques

Selon Wall Street, la crise actuelle devrait renforcer les plus riches et les plus puissants : « Le monde de demain sera celui d’hier, en plus cartellisé, plus globalisé et plus technologique » [31]. Déjà, nous voyons qui profite de cette « épidémie » : les GAFAM bien sûr et au premier rang d’entre eux, Amazon, qui a vu ses actions croitre de 23,7 % depuis le début de l’année ; les spéculateurs de tout poil et notamment ceux qui annoncent déjà des stocks faramineux de masques alors que nous sommes encore en pleine pénurie (comme Carrefour, Leclerc…).

Nous voyons aussi qui en souffre le plus : ce sont les plus démunis. L’énumération serait interminable. Ce sont entre autres les migrants, les Noirs américains, les personnes âgées qui vivent dans les EHPAD, la grande masse des ouvriers et des paysans indiens, les autochtones brésiliens. Mais aussi les petites entreprises, les bars et les restaurants, les artistes intermittents, les intellectuels précaires… dont la vie n’est pas encore menacée, mais qui vont perdre leur travail et mettre en péril leur créativité.

Bezos, le patron d’Amazon, prophétise : nous aurions trois possibilités, laisser l’épidémie nous définir, la laisser nous détruire, nous servir de l’épidémie pour devenir plus fort. Il n’y a pas de doute que Bezos pense qu’il appliquera la troisième possibilité sauf si suffisamment de personnes se posent aussi cette question : « Comment faire pour que cela soit aussi possible pour moi et pour chacun d’entre nous ? ». C’est en se posant cette question que l’on pourra trouver la réponse : changer de rationalité économique !

7 La peur et l’amour

Je lis ici et là que la solidarité est en hausse et que cela montre que l’être humain est bon et que l’amour est une valeur sûre. Je ne suis pas sûr que cette solidarité et cet amour, que l’on appelle aussi « care » – comme si en anglais c’était plus juste –, aient le même sens pour tous.

Je vois, et j’entends aussi beaucoup de peurs, peur de mourir et peur de vivre, j’en ai déjà parlé. Est-ce que l’amour peut éclore au sein de la peur ou encore qu’est-ce que cet amour qui fait bon ménage avec la peur ?

Le problème avec ces grands mots, l’amour, la solidarité, le care… c’est qu’ils ont trop de sens et que certains des sens qu’ils prennent peuvent même être opposés. Si nous voulons être solidaires, commençons déjà par être moins effrayés et plus joyeux.

8 L’Internationale invisible

Aimé Michel, que je n’ai rencontré que trop brièvement et à qui j’ai emprunté une partie du titre de ces chroniques, « Apocalypse molle », disait que ce qui lui donnait confiance c’était de faire partie d’une Internationale invisible. C’est sur cette Internationale invisible que je compte. C’est pour ses membres que j’écris et c’est avec eux que je ferai la fête, le jour d’après… et tous les autres !

Chronique n° 5, 27 mai [32]

Chant pour celle/celui qui désire vivre

J’ai développé dans les chroniques précédentes les raisons pour lesquelles il était de plus en plus évident que la crise sanitaire n’en était pas une. Le coronavirus est très peu dangereux. Si vous avez moins de 65 ans, vous avez une chance infime de mourir. Pour les personnes plus âgées, ce sont essentiellement les moins autonomes et atteintes d’une autre maladie qui ont (un peu) plus de « chances » de mourir, les taux restants très bas et largement inférieurs à d’autres causes de mortalité.

C’est donc essentiellement une crise sociétale. Je vais, dans cette chronique, prendre un peu de distance et parler de ce qui est, au fond, révélé par cette crise : qu’est-ce que bien vivre ? Est-ce que ce que vous faites vous apporte de la joie [33] ? Ou encore : est‑ce que la médecine vous apporte de la joie ? Ou encore : que serait une médecine qui vous apporterait de la joie ?

Cette crise dite « sanitaire », mais qui est, comme je l’ai développé dans les chroniques précédentes, une crise de société, une crise de notre modèle de société, nous amène à interroger, et c’est son principal mérite, les fondements de notre « vivre ensemble » dans une société « mondialisée » et à poser à nouveau une question très ancienne [34] que Judith Butler, bien connue pour ses travaux sur les troubles dans le genre, a posée à nouveau il y a quelques années : qu’est-ce que bien vivre [35] ?

Dans ce texte, je propose quelques références en note : les ami(e)s qui me connaissent bien savent que j’aime, dans les conversations que nous avons ensemble, citer des livres qui m’ont marqué, c’est ce à quoi sont consacrées ces notes de bas de page, comme il y a des insectes de bas de page dans les BD de Franquin.

Et pour cela, je voudrais interroger ce « monstre » qu’est la médecine moderne, la part qu’elle a prise dans cette crise et, disons-le tout de suite de manière provocatrice, comment elle a déclenché cette crise.

Pour cela, je me suis replongé dans un petit livre d’un auteur assez connu, mais sans doute pas assez lu, que je voudrais commenter et citer (citer c’est ressusciter) en introduction de cette chronique. Il s’agit de Némésis [36] médicale, l’expropriation de la santé, d’Ivan Illich. Sa thèse principale tient en une phrase : la médecine – la médecine moderne telle qu’elle s’est développée à partir du XIXe siècle – est plus nocive pour la vie qu’elle n’est bénéfique. Et ce corollaire : même lorsqu’elle préserve la vie, elle soigne rarement, c’est-à-dire qu’elle ne prend généralement pas soin de ses malades.

Au final, plus on va vite avec les patients et plus on a tendance à prescrire des médicaments. Alors que plus on prend du temps avec les patients et moins on prescrit des médicaments. On va plutôt prescrire de changer d’alimentation, de se reposer, de faire de l’exercice physique, de prendre le soleil (Magali Roussilhe, médecin de Cahors).[37]

Quand un médecin ne veut plus de cette médecine principalement prescriptive, il quitte le réseau. C’est ce que vient de faire cette médecin de Cahors, qui vient d’annoncer sa démission de ses fonctions de médecin généraliste à la Maison de santé de Prayssac [38]. Elle continuera d’exercer, mais hors convention avec la Sécurité sociale.

Illich développe aussi une seconde thèse, explication de la première. Si la médecine agit ainsi, c’est parce qu’elle est essentiellement soumise aux intérêts du grand capital en général et des grands groupes pharmaceutiques en particulier, même si, à la marge, elle peut essayer d’y échapper et si les médecins peuvent être, au cas par cas, de très bonnes personnes. J’ai plusieurs médecins parmi mes ami(e)s et j’ai été soigné par d’excellents médecins, en particulier le docteur Jean Carpentier auteur en 1977 d’un petit livre, Médecine Générale [39].

Voici quelques extraits de Némésis Médicale [40] :

L’entreprise médicale menace la santé. La colonisation médicale de la vie quotidienne aliène les moyens de soin. Le monopole professionnel sur le savoir scientifique empêche son partage (p. 585).

Il s’agit de convaincre les médecins, mais avant tout leurs clients, qu’au-delà d’un certain niveau d’efforts la somme des actes préventifs, diagnostiques et thérapeutiques ayant pour cible des maladies spécifiques d’une population, d’un groupe d’âge ou d’individus, abaisse nécessairement le niveau global de santé de toute la société en réduisant ce qui précisément constitue la santé de chaque individu : son autonomie personnelle (p. 593).

La suppression de l’autonomie personnelle est la raison principale pour laquelle la mortalité due au coronavirus est la plus élevée dans les EHPAD, Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes. Cela explique aussi la surcharge des hôpitaux et bon nombre de troubles associés, et ce malgré le dévouement des personnels, surchargés comme tout le monde l’a constaté. Une des raisons du confinement, c’est cette surcharge des hôpitaux. À cela on répond : il faut plus d’hôpitaux, plus de personnel. Si on ne change pas notre relation à la santé certainement. Mais il serait plus important de réfléchir aux raisons pour lesquelles les hôpitaux sont le dernier recours des malades.

Ce n’est pas notre système de la santé qu’il faut changer, mais notre conception de la santé comme système ! Comme le dit Ivan Illich :

L’environnement général (notion qui inclut le mode de vie) est le premier déterminant de l’état de santé global de toute une population (p. 600). L’empoisonnement de la nature par l’industrie chimique est allé de pair avec la prétendue efficacité croissante des médicaments ; la malnutrition moderne, avec le progrès de la science diététique (p. 602).

Voilà sans doute une explication des très grandes disparités observées dans les différents continents, quelques exemples : 1,3 mort par million de personnes en Afrique, autour d’une personne sur 10 000 en Amérique, mais trois sur 10 000 aux USA, autour de deux sur 10 000 en Europe [41], mais avec des différences considérables entre les pays d’Europe de l’Ouest et les pays d’Europe Centrale. Même si ces chiffres restent très faibles, les pays les plus industrialisés, ceux dont l’environnement est le plus dégradé, où il y a la plus grande consommation de médicaments, où le mode de vie est le plus stressé, sont, globalement, les plus touchés. Il y a bien sûr des exceptions et les modes de comptage sont différents suivant les pays, mais les tendances sont significatives.

Or ce que cette crise « sanitaire » et sociale a confirmé avec une ampleur inédite, c’est l’emprise des spécialistes de la santé sur la conception générale que cette société a de la santé : une peur panique de mourir qui implique la préservation de la vie à tout prix, même au prix d’un enfermement volontaire qui n’a fait que s’amplifier avec le confinement. Les philosophies libérales de la prise de risque sont aujourd’hui mises à mal par une conception obsessionnelle de la sécurité, mais qui a le mérite de rappeler que, dans un monde dominé par l’argent, la position « antifragile » n’est pas tenable [42] ! 

 Cette conception s’impose à tout le monde, y compris aux économies capitalistes qui ont dû, en grinçant des dents, accepter de perdre beaucoup d’argent et entrer en récession (bien que certains aient flairé d’entrée de jeu le bon coup, comme je l’ai montré dans une chronique précédente : c’est le cas de ce cher [très cher !] Bezos, patron d’Amazon).

On ne pouvait rêver meilleure confirmation de cette idée de Karl Marx que les lois sociales deviennent tellement implacables qu’elles s’imposent comme des lois de la nature. Avec ce correctif : ce ne sont pas des lois, mais des tendances, terme plus souple que celui de loi. Il faudrait développer, mais ce serait trop long.

La crise sociale actuelle est considérée par les médecins, les biologistes, les biochimistes et leurs confrères comme un produit d’une attaque de la nature contre la société, mais il semble plutôt que ce soit la dérive de notre société qui ait pris le visage d’un virus.

Donc, ce qui s’est imposé à nous, c’est la chose suivante : la médecine, la biologie, la virologie, la statistique, et toutes les disciplines « connexes » au « corps » médical, sont les seules garantes du salut de l’humanité. Pasteur a remplacé le Christ et le vaccin est en passe de devenir l’hostie consacrée par la sainte Science que tout bon citoyen se doit d’absorber. Mieux qu’une hostie, un vaccin se doit d’être obligatoire. Nul ne peut d’ailleurs se dire médecin s’il n’est pas adepte, s’il ne défend pas corps et âme le vaccin.

À ce sujet, je note la réflexion de Magali Roussilhe, médecin de Cahors, en réponse à la question : vous refusez le vaccin [pour le coronavirus]. Qu’est-ce qui motive votre opposition ?

Parce que nous sommes en présence d’un virus qui mute, parce que ce vaccin est réalisé dans la précipitation et je m’en méfie ! Il y a de plus en plus de questions qui se posent autour des vaccins. Pour ma part, je n’ai pas une position anti-vaccin, moi-même j’ai été vaccinée et mes enfants l’ont été aussi. Mais je suis mal à l’aise de savoir qu’il n’est pas admis qu’on puisse critiquer les vaccins en général. Ainsi, j’ai été choquée par l’obligation vaccinale de 2018 et ses 11 vaccins. Il n’est pas sain qu’on ne puisse pas remettre en question certaines vaccinations ; je ne suis pas la seule à le faire, or ce n’est pas possible et je trouve cela inquiétant ! Ce contexte général où l’on ne doit pas se poser de questions n’est pas rassurant pour l’avenir de notre société ! [43]

Pour revenir à ma question initiale (rappelez-vous cette formule : ne faisons pas cadeau de notre pessimisme à l’ennemi !), je voudrais terminer avec ces deux idées :

  • Qu’est-ce que bien vivre ?

  • Que faire maintenant pour bien vivre ?

1 Qu’est-ce que bien vivre ?

La première condition, ce cher Haruki Murakami l’a bien dit, c’est la joie. Sans joie, pas de bonne vie. Et, attention, j’ai dit la joie, pas le plaisir, ni le bonheur (comme le pensait Aristote) ni la conscience du devoir accompli. Et la joie – il y a plusieurs manières de la définir et certain(e)s de ceux qui me lisent voudront peut‑être m’en proposer une définition : ne te gênes pas, je la lirai avec plaisir ! – et la joie donc, c’est un sentiment qui ne connaît pas le temps. Il est à la fois maintenant (Arthur Cravan [44]) et pour l’éternité (Arthur Rimbaud [45]). Alors que le bonheur, c’est l’éternité sans l’instant, et le plaisir, l’instant sans l’éternité [46] !

La joie ne connaît pas la dualité.

Elle est à la fois dans le corps et dans l’esprit.

Elle est atteignable tout de suite sans attendre demain pour chanter !

Mon ami don Clot est mort chez lui en chantant. Quelques mois avant, il m’avait dit : j’irai à la gloire en chantant… Don Clot était un maya qui lisait L’origine de la vie d’Alexandre Oparine [47]. Et un matin, on l’a retrouvé mort, sa guitare à la main et le sourire aux lèvres…

Or, on ne chante pas en mourant à l’hôpital

On ne chante pas dans un EHPAD

On ne chante pas avec un masque

On ne chante pas en faisant des calculs sur le cours de la bourse

 

No me llores no / Ne me pleure pas

No me llores no / Ne me pleure pas

Porque si lloras me muero / Parce que si tu me pleures, je meurs

En cambio si tu me cantas / En revanche si tu me chantes

Yo siempre vivo y nunca muero / En revanche si tu me chante, je vis toujours et je ne meurs jamais [48].

2 Que faire ?

Faire des actions qui nous procurent de la joie et qui, en même temps, permettent de lutter contre ce qui intoxique notre vie et le monde. À nous d’en inventer. Je relaie ici l’appel du 17 juin 2020 contre la réintoxication du monde publié dans le numéro de Reporterre du 20 mai [49] qui me paraît un appel à la lutte et à la joie. Mais il y a beaucoup d’autres raisons d’être joyeux et de refuser cet arraisonnement des corps et des esprits auquel, confinés ou déconfinés, on veut nous contraindre.

Chronique n° 6, 15 septembre

Y-a-t-il une vie avant la mort ?

Il va falloir s’habituer à vivre avec.

Nous avons été mauvais élèves…

(Phrases entendues dans la rue…)

La rentrée qui se dessine confirme malheureusement une partie des craintes que j’ai exprimées concernant les restrictions des libertés à la suite de la « psychose collective » du COVID 19. L’opportunisme capitaliste a bien vu le profit à tirer de la situation et pour cela il a pu s’appuyer, comme toutes les dictatures (et celle-ci est une dictature même si elle est molle, d’autant plus difficile à combattre qu’elle est molle !) sur la violence et le consentement.

L’arsenal répressif de la contre-attaque hygiéniste s’est focalisé sur un élément : le masque, associé à des contraintes appelées « gestes barrière » et qui visent toutes à empêcher le contact direct, le toucher de peau à peau. Comment l’obligation de porter un masque peut-elle représenter une menace importante pour la liberté, et pour « nos » libertés, je le vais montrer tout à l’heure, pour parler comme Monsieur Jean de La Fontaine.

Le masque est ambivalent : il est masque du justicier et du bandit, masques du Ku Kux Klan et des Zapatistes [50], masque de Carnaval… Aujourd’hui, il prend une connotation nouvelle comme « masque protecteur », mais son ambivalence demeure : il est protecteur et liberticide, il ouvre les portes du déconfinement, mais garde les prisonniers que nous sommes : désormais nous pourrons voyager à l’abri, l’administration du zoo nous protègera de la jungle. Une formulation mythique permettra de mieux comprendre cette fonction contradictoire, cachée et manifeste, du masque : la mort est le masque du roi.

Que signifie cette formule ? Le masque est la figure de celui qui vient de « l’autre monde », du royaume des morts, et peut se présenter à nous comme fantôme, comme animal, comme végétal. Le renversement du monde dans son « Autre » renvoie également au renversement de la société, à son envers possible. Ainsi, le port du masque est habituellement associé aux situations de marge où le monde manifeste sa fragilité et accepte, momentanément, d’être renversé : c’est le phénomène du carnaval. Mais cette « mascarade » ne doit pas être prolongée trop longtemps, comme en ce moment, sous peine de basculer dans l’autre monde de manière permanente. D’où la formulation prophétique de Coluche : « J’en suis à me demander s’il y a une vie avant la mort… »

Avons-nous déjà renoncé à vivre que nous acceptions de mourir vivant ? Car qu’est-ce que la vie si l’on ne plus se sourire, se toucher, s’approcher même. Chaque action de notre quotidien est maintenant soumise aux dictats de nos lois (sauf quand on est chez soi, mais peut‑être le gouvernement prépare-t-il une prochaine mesure pour cela ?). Respirer tranquillement devient un crime passible d’une amende !

Mais si une fraction importante de la population accepte aujourd’hui de porter le masque, mieux, accepte que cela puisse devenir permanent puisque « nous avons été mauvais élèves », n’est-ce pas déjà parce que, sans le savoir, chacun s’était habitué à porter un masque ?

Ce masque, invisible, mais bien réel, empêche de plus en plus les gens de communiquer autrement qu’à travers les portails de communication virtuelle et les relations conventionnelles que nous établissons avec nos employeurs, nos collègues de travail, nos compagnes et compagnons, nos enfants…

Le Covid 19, « ruse de la nature », a agi comme un révélateur : désormais nous devons apparaître tels que nous sommes au grand jour, tous masqués ! Et, une fois que nous serons tous masqués, alors pourra se mettre en place la seconde étape de cette « dévitalisation » : tous fichés !

Moi qui aime beaucoup la science-fiction – la science véritable comme le disait Lacan – je ne peux m’empêcher de voir défiler dans ma mémoire plusieurs scénarios déjà écrits :

  • Celui de l’anarchiste anglais Georges Orwell, dans 1984 [51].

  • Celui de l’américain Isaac Asimov, datant des années 70 si je me rappelle bien – j’ai oublié le titre de cette nouvelle –, qui imagine une société où chacun vit dans un appartement individuel, ne communiquant avec les autres que virtuellement et où se toucher est interdit pas la loi !

  • Celui du polonais Stanislas Lem dans Le congrès de futurologie [52] où, couche après couche, se révèle la réalité sidérante de notre monde. Chaque nouvelle couche dévoile « l’apparence » du monde précédent, mais se révèle être elle aussi une apparence, un masque, jusqu’à ce que le dernier masque soit retiré. Et là…

Je voudrais revenir maintenant sur la notion de masque et envisager l’histoire du mot, son étymologie, comme le disent les linguistes, mais aussi, comme le disent les mythologues, son étymologie populaire et sa résonance. Le terme « masque » [53] va connaître de nombreuses bifurcations, mais son sens originel, du moins dans sa forme latine, est celui de « noir ». Certes, maska (« noir » en bas latin) a engendré dès le VIIe siècle les sens de « sorcière », « spectre », « démon », tous termes à connotation négative.

Mais il nous faut d’abord considérer, pour mieux comprendre l’ambivalence du « masque », l’ambivalence du noir lui-même. Commençons par la nuit. La nuit, noire par excellence, mais également éclairée par la lumière de la lune et des étoiles, est associée aux fantômes et à la mort. Mais elle est d’abord le lieu de la création, espace hors temps qui engendre le temps et la vie : des ténèbres jaillit la lumière !

À observer certaines évolutions, on pourrait avoir l’impression que, progressivement, le noir en est venu à renvoyer purement et simplement au mal : par exemple le corbeau, originellement animal solaire et sacré, devient diabolique, associé au péché et à son expiation ! Mais une étude plus précise nous indique que les deux conceptions du noir s’affrontent continuellement. Comme l’indique Michel Pastoureau, dans son étude sur la couleur noire [54], en latin et en vieil anglais, on différencie le noir brillant, positif, du noir mat, négatif. Nous avons également oublié la querelle, à l’époque féodale, entre les moines bénédictins et les moines cisterciens : les premiers faisant du noir leur habit, et les seconds le rejetant, car si le blanc est lié à la lumière, le noir est lié à la matière, et donc à la vanité. Du XIVe au XVIe siècle, il devient une couleur à la mode, puis respectable et luxueux, au point de devenir une couleur royale jusqu’au milieu du XVIIe siècle.

Ainsi, le noir a pu être la couleur des sorciers et des démons, mais aujourd’hui, il est aussi la couleur des curés, des architectes et des politiciens ! Est-ce parce que ces trois catégories s’apparentent en fait aux démons ou bien parce que le noir est à la fois maudit et sacré ? Maudit parce que sacré, sale et pur à la fois…

Venons-en à un autre sens du mot « masque », lui aussi très courant et apparu, du moins dans les sources écrites, au XVIe siècle : faux visage que l’on met pour se déguiser, mais, comme le rappelle Balzac dans Peau de chagrin [55], ce faux visage est parfois si proche du vrai qu’il peut désigner le visage lui-même.

Si le visage est aussi un masque à quoi donc se fier ? Comme le dit une poésie anonyme argentine :

Le pregunté a la verdad / J’ai demandé à la vérité

y la verdad me mintió / et la vérité m’a menti

y si la verdad me miente / et si la vérité me ment

en qué puedo fiarme yo / à quoi puis-je donc me fier ?

Nous sommes entrés, depuis un certain temps déjà, dans l’ère du faux : une société où le mensonge est tellement généralisé qu’on ne le distingue plus de la vérité. Il n’importe plus que quelque chose soit vrai, mais qu’il apparaisse comme tel. Ainsi, quand nous portons un masque, nous ne savons plus ni qui nous sommes, ni qui est l’autre ; l’Autre, le grand Autre, dont l’État est aujourd’hui une des figures les plus visibles, est prêt à nous cueillir. Nous n’aurons bientôt même plus besoin de mourir, nous serons déjà morts avant d’avoir vécu !

Heureusement, et je te rassure toi qui a lu mes chroniques précédentes et te demande où je suis en train de t’emmener, le masque, et le noir, restent ambivalents ! À tout moment, nous pouvons le retourner. D’où ma proposition de porter de vrais masques de carnaval au lieu de porter ces masques mortuaires, de vrais masques qui métamorphosent notre visage en animal, en végétal, en monstre, mais aussi en fée, en lutin, en joyeux mort vivant ! Mais aussi, bien sûr, l’appel à la vigilance et à la lutte : Ne collaborons pas. Refusons de porter systématiquement le masque [56] : conservons son pouvoir de subversion, réservons-le pour les grandes mascarades, et démasquons ceux qui se prétendent nos protecteurs pour mieux nous contrôler et nous asservir.

Et vivons joyeusement cette contradiction : oui, il y a une vie avant la mort, et il y a une vie après la mort, même si ce n’est pas la nôtre, mais elle peut être aussi nôtre si nous n’en avons pas peur. Retrouvons le sens de la mort que nous avons perdu et que la philosophie tch’an/zen, entre autres, nous a conservé : la mort et la vie, c’est exactement la même chose ! Ou pour le dire à la manière de Prévert : la mort et la vie, c’est comme l’amour et la mort… ça marche ensemble.

 En guise de conclusion

Voilà donc où j’en étais de mes réflexions le 15 septembre. Depuis, le gouvernement français a décrété un second confinement. Je rédigerai une prochaine chronique à la sortie de ce deuxième confinement. Elle analysera entre autres, en m’appuyant sur les données de l’actualité, « la folie de la société-monde » ou, si l’on préfère une formulation plus modérée, « le malaise dans la civilisation ».

Pour ceux qui souhaiteraient la recevoir, merci d’envoyer un message à michel.boccara1@orange.fr.


[1] Michel Boccara, Reyes, chamanes y arqueólogos, « ¿Por qué y para quien hacer Historia? [Des chamanes, des rois et des archéologues, Pourquoi et pour qui faire de l’histoire ?] », Segundo congreso internacional de cultura maya, Las tierras del mayathan, su dinámica historica y cultural en el contexto mesoamericano, Instituto Nacional de Antropología y Historía, Merida, Yucatán, Mexique, 18-3-2005 (communication non publiée).

[2] Marc Bloch, L’étrange défaite. Témoignage écrit en 1940, Éditions Franc-tireur, 1946.

[3] Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Ce n’est qu’au crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol », Préface à la philosophie du droit (1821), PUF-Quadrige, Paris, 2013.

[4] Note du 19 novembre 2020 : Aimé Michel, L’apocalypse molle, Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, Aldane éditions, Cointrin, Suisse, 2008.

[5] Rappelons que ce texte a été écrit le 16 mars, depuis il a changé d’avis.

[6] Lisez ou relisez, de Lion Murard et Patrick Zilberman, Le petit travailleur infatigable, ou le prolétaire régénéré [Villes – Usines, habitat et intimités au XIXe siècle], écrit en 1976 : https://www.persee.fr/doc/htn_0018-439x_1978_num_1_1_2908_t1_0115_0000_2.

[7] Le Monde, 24.3.2020, « Paolo Giordano : je ne veux pas passer à côté de ce que l’épidémie nous dévoile de nous-mêmes ».

[8] Le Monde, 21.3.2020, « Coronavirus : en Allemagne, le faible taux de mortalité interroge ».

[9] Idem.

[10] Note du 19 novembre 2020 : cf. Michel Boccara, Des os pour l’éternité. Philosophie et Mythologie de la mort chez les Mayas du Yucatán, Hémisphères-Maisonneuve et Larose, 1997.

[11] Il ne s’agit pas seulement, et même « pas essentiellement », d’une épidémie, mais plutôt de ce qu’une épidémie singulière révèle de l’état de notre société et de sa folie… Ce qui a à voir avec la psychologie de masse dont je parle dans l’aphorisme suivant.

[12] Note du 19 novembre 2020 : cf. Wilhelm Reich, Psychologie de masse du fascisme, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1977.

[13] Le Monde, 10.4.2020, « Coronavirus : une étude dans le principal foyer de l’épidémie en Allemagne revoit le taux de mortalité à la baisse », chiffres pour une seule région, mais modélisables pour l’ensemble du pays.

[14] Aujourd’hui (19 novembre 2020), nous sommes passés à la fourchette haute : environ un million deux cent mille morts (source : https://www.linternaute.com/actualite/guide-vie-quotidienne/2486227-coronavirus-dans-le-monde-ou-en-est-l-avancee-du-vaccin-chiffres-et-infos-sur-les-pays-les-plus-touches/).

[15] Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

[16] Le Monde, 15.4.2020, « L’"inconscient à ciel ouvert", ou le retour du refoulé en temps de confinement ».

[17] Le Monde, 8.4.2020, « Alors que la Louisiane connaît l’un des taux d’infection au Covid-19 les plus élevés des Etats-Unis, la ville, ravagée par l’ouragan Katrina en 2005, tente de s’organiser et de puiser dans les leçons apprises à l’époque ».

[18] Le Monde, 6.4.2020, « Arundhati Roy : « En Inde, le confinement le plus gigantesque et le plus punitif de la planète ».

[19] Déclaration de Emmanuel Macron depuis l’Élysée lors d'une allocution télévisée consacrée à la lutte contre l'épidémie mondiale de Covid-19, https://www.bfmtv.com/economie/coronavirus-emmanuel-macron-promet-d-aider-l-afrique-en-annulant-massivement-sa-dette_AN-202004140279.html.

[20] Il est déjà revenu sur cette proposition en suggérant à la place un moratoire selon le Monde du 15 avril 2020, consultable sur https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/15/nous-devons-etre-aux-cotes-de-l-afrique-ce-qu-il-faut-retenir-de-l-interview-d-emmanuel-macron-a-rfi_6036647_3212.html.

[21] Le tribunal judiciaire de Nanterre (Hauts-de-Seine), dont dépend son siège français de Clichy-la-Garenne, vient ce mardi 14 avril de lui ordonner, dans les 24 heures, de « restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux, sous astreinte, d’un million d’euros par jour de retard et par infraction constatée ». Le Monde, 15.4.2020, « Amazon : "La crise nous fait basculer dans les nouveaux Temps modernes" ».

[22] Le Monde, 10.4.2020, « Dans les pays occidentaux, la lutte contre le Covid-19 nous tire à gauche ».

[23] Le t’up en maya c’est le plus jeune fils, à distinguer de la t’up, qu’on appelle aussi la nena, le bébé, la plus jeune fille.

[24] André Comte-Sponville, dans Le Temps, 17.4.2020, « André Comte-Sponville : Laissez-nous mourir comme nous voulons ! », https://www.letemps.ch/societe/andre-comtesponville-laisseznous-mourir-voulons.

[25] Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, édition du Seuil, 4e conférence, 1975.

[26] « Il n'y a pas aujourd'hui de consensus scientifique en la matière », a-t-elle martelé, soulignant que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) « ne recommande pas le port du masque dans la population de manière générale ». https://www.publicsenat.fr/article/politique/pas-de-consensus-scientifique-actuellement-sur-le-masque-pour-tous-affirme-ndiaye.

[27] Note du 14 décembre : j’ai aussi oublié la référence précise, voyez-vous, mais est-ce bien utile ?

[28] Un gauchemar est un cauchemar qui essaye de faire peur, mais qui au fond n’y arrive pas.

[29] Note du 19 novembre 2020 : cf. Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, Éditions sociales, 1974.

[30] Note du 19 novembre 2020 : cf. Donald Winnicott, « De la communication et de la non-communication », dans Processus de maturation chez l’enfant. Développement affectif et environnement, édition Payot, 1970, pp. 151-168.

[31] Le Monde, 2.5.2020, « Coronavirus : le monde d’après… selon Wall Street ».

[32] J’ai ajouté au titre général Apocalypse molle, le sous-titre Chant pour celle/celui qui désire vivre en m’inspirant de Jorn Riel, 1995, Heq, Le chant pour celui qui désire vivre, Éditions 10/18 et de Nastassja Martin, Croire aux fauves, coll. Verticales, Éditions Gallimard, 2019. Ces deux livres, bien que différemment, posent la question du désir de vivre et de la nécessité d’affronter la mort qui prend, pour les cultures de l’arctique, le visage de l’ours.

[33] Haruki Murakami, Profession romancier, Édition Belfond, 2019, p. 67.

[34] Note du 14 décembre : elle est déjà posée par les penseurs grecs, à partir de Platon et reprise par Aristote, notamment dans L’éthique à Nicomaque. La fin ultime, c’est le bonheur : « […] quel est de tous les biens réalisables celui qui est le Bien suprême ? Sur son nom, en tout cas, la plupart des hommes sont pratiquement d’accord : c'est le bonheur, au dire de la foule aussi bien que des gens cultivés ; tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d’être heureux […] On voit donc que le bonheur est quelque chose de parfait et qui se suffit à soi-même, et il est la fin de nos actions. Cf L’éthique à Nicomaque, Livre 1, p. 22 et 28, Traduction J. Tricot, 1959 https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/%C3%89thique-%C3%A0-Nicomaque.pdf). Je développerai plus loin la différence entre bonheur et joie.

[35] Judith Butler, Troubles dans le genre, édition La découverte, Paris et en 2014, Qu’est-ce qu’une vie bonne ? Édition Payot, Paris, 1990/2005.

[36] Némésis (en grec ancien Νέμεσις / Némesis) est une déesse de la mythologie grecque, mais aussi un concept : celle de la juste colère (des dieux) et du châtiment céleste. Son courroux s’abat en particulier sur les humains coupables d’hybris : démesure, mégalomanie.

[37] Magali Roussilhe, médecin de Cahors, dans ActuLot du 23,05,2020, https://actu.fr/occitanie/cahors_46042/covid-19-coup-tonnerre-dans-milieu-medical-dr-magali-roussilhe-demissionne-explique-pourquoi_33767888.html.

[38] ActuLot, 23.05.2020, https://actu.fr/occitanie/cahors_46042/covid-19-coup-tonnerre-dans-milieu-medical-dr-magali-roussilhe-demissionne-explique-pourquoi_33767888.html.

[39] Jean Carpentier, Médecine générale, François Maspéro, Paris, 1977.

[40] Ivan Illich, Némésis médicale, l’expropriation de la santé, éditions du Seuil, Paris, 1974.

NB : l’ensemble des références sont données dans l’édition des Œuvres Complètes de Ivan Illich, Paris, Fayard, vol. 1, 2003.

[41] Fred Eboko, Laurent Vidal, David Williamson, « Le catastrophisme, reflet de notre vision de l’Afrique », Le Monde, 14.5.2020, et Julien Da Sois, dans CNews du 23.09.2020,  https://www.cnews.fr/monde/2020-05-24/graphique-quels-pays-comptent-le-plus-de-morts-du-coronavirus-par-rapport-leur (Note du 19 novembre).

[42] Je pense notamment au livre de Nassim Nicholas Taleb, ancien trader, Antifragile, les bienfaits du désordre, Belles Lettres, Paris, 2013.

[43] Magali Roussilhe, médecin à Cahors, dans ActuLot du 23.05.2020,  https://actu.fr/occitanie/cahors_46042/covid-19-coup-tonnerre-dans-milieu-medical-dr-magali-roussilhe-demissionne-explique-pourquoi_33767888.html.

[44] Auteur et éditeur joyeux de la revue Maintenant, consultable sur le site de la Bibliothèque Nationale de France (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86263690/f20.image). Prenez le temps de le découvrir, ça vaut le détour !

[45] Elle est retrouvée, quoi ? L’éternité… Arthur Rimbaud, Poème L’Éternité, mai 1872, consultable sur https://www.poetica.fr/poeme-651/arthur-rimbaud-eternite/.

[46] Roméo Boccara m’a suggéré cette formule en relisant une première version de ce texte.

[47] Célèbre biochimiste soviétique dont le livre de vulgarisation, L’origine de la vie, fournit une vision alternative à la vision religieuse du monde et s’est notamment diffusé au Mexique par l’intermédiaire de Cuba. Alexandre Oparine, L’origine et l’évolution de la vie, Éditions de Moscou, Moscou, 1976.

[48] Chanson populaire mexicaine.

[49] Consultable sur https://reporterre.net/Le-17-juin-agissons-contre-la-reintoxication.

[50] Note du 19 novembre 2020 : « Les symboles zapatistes ne sont ni les armes, ni la jungle, ni les montagnes, mais le masque, le passe-montagne. On nous reproche cet usage constant du masque. Pourquoi ces masques ? Pourquoi vous cachez-vous ? Soyons sérieux. Personne ne nous regardait lorsque nous avancions à visage découvert, et maintenant on nous remarque parce que nous dissimulons nos visages » Marcos, cité dans https://www.cairn.info/revue-ballast-2015-2-page-164.htm.

[51] Georges Orwell, 1984, Éditions Gallimard, Paris, 1950.

[52] Stanislas Lem, Le congrès de futurologie, Éditions Calmann-Lévy, Paris, 1976.

[53] https://www.cnrtl.fr/etymologie/masque.

[54] Michel Pastoureau, Noir : histoire d’une couleur, Éditions du Seuil, Paris, 2008.

[55] Honoré de Balzac, Peau de chagrin, éditions Charles Gosselin, Paris, 1831.

[56] Note du 19 novembre 2020 : Que cela soit bien clair : je n’ai pas écrit qu’il fallait interdire le port du masque. Au contraire, je suis pour la liberté de porter ou de ne pas porter le masque. Et j’explique aussi, pour ceux qui en ressentent la nécessité, les dangers de pérenniser le port du masque.