Ève… sur des chemins non tracés, par Raymond Lemieux, vol. 3
L’auteur :
Raymond Lemieux est sociologue de la religion, professeur émérite à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. Interdisciplinaire, son travail se situe à la croisée de la sociologie, de l’histoire, de la psychanalyse, des sciences du langage, de l’éthique et de l’épistémologie. Il est membre du Gifric (Groupe interdisciplinaire freudien en recherche et intervention cliniques), depuis sa fondation en 1977.
Citer l’article : Raymond Lemieux, « Ève… sur des chemins non tracés », Revue Ouvertures vol 3, p. 243-252.
Résumé :
Cet article est un commentaire de la thèse de Lydwine Olivier : « Ève, du manque au sujet-femme. Une relecture discursive du désir de la femme dans Gn 3 à partir de ses réceptions ». Il se situe donc à la suite de son propre article dans ce même numéro d’Ouvertures. Le texte souligne d’abord les enjeux liés aux figures d’Ève en contexte moderne et ultramoderne, pour montrer comment la relecture du mythe peut éclairer les failles des montages identitaires qui gouvernent nos vies.
This article is a commentary on Lydwine Olivier’s doctoral thesis : « Ève, du manque au sujet-femme. Une relecture discursive du désir de la femme dans Gn 3 à partir de ses réceptions ». It therefore follows on from her own article in this specific volume of Ouvertures. The text first underlines the issues related linked to the figures of Eve in a modern and ultramodern context, in order to show how the rereading of the myth can shed light on the identity flaws that govern our lives.
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Ce texte est un commentaire de la thèse de Lydwine Olivier : « Ève, du manque au sujet-femme. Une relecture discursive du désir de la femme dans Gn 3 à partir de ses réceptions »[1]. Certains lecteurs de cette thèse pourraient s’irriter d’accents qu’ils jugeront trop engagés et dont ils craindront les effets d’entraînement vers des dérives idéologiques. Mais existe-t-il des pratiques théologiques libres de tout enracinement dans les terreaux de l’existence humaine, bref, angéliques ? Ici, la hardiesse donne à penser. Et, donner à penser, n’est-ce pas l’objectif de toute aventure intellectuelle, particulièrement quand celle-ci prend la forme d’une dissertation doctorale ?
Les figures d’Ève
Telles que reçues dans leurs lectures traditionnelles, les figures d’Ève[2] méritent d’être questionnées d’autant plus qu’elles ont servi, en Occident, à justifier les rapports entre les genres et, par conséquent, la structuration des cultures et la normalisation des liens sociaux. On peut penser que ces lectures « traditionnelles » de la figure d’Ève ont évolué dans l’histoire des communautés qui les ont pratiquées. La présente thèse permet d’en dégager à son tour une approche originale, différente parce qu’imprégnée des sensibilités contemporaines, particulièrement celles qui concernent la conscience d’être femme aujourd’hui.
L’enjeu de la pensée, ici, rejoint la perspective soulevée par Paul Ricœur, quand il souhaite une altérité, « sans que ce soit l’altérité d’un sens déjà là, caché, dissimulé, recouvert »[3]. Certes, cet enjeu implique un risque : saisir le monde autrement que selon les doxologies hégémoniques peut creuser l’écart entre cette pensée et le sens commun, surtout si elle se présente comme universitaire, donc présumée « savante », capable de critique. Il arrive en effet qu’en son nom, on se réfugie dans des postures invalidant toute empathie pour le monde « normal », celui qui fonctionne selon les consensus usuels. Ce danger aujourd’hui devient d’autant plus important que les communautés dites « naturelles » (familles, lignages, clans, nations, etc.), ces communautés qui traditionnellement supportaient et réglaient les lectures des expériences humaines – et parmi elles les grands récits mythiques – sont en perte d’influence sous l’effet de la globalisation, cette dernière étant non seulement financière, mais tout autant sinon davantage culturelle[4]. En conséquence de celle-ci, le croyable disponible dans les collectivités humaines est de moins en moins supporté par des communautés stables. Les communautés affinitaires (de croyances, de genres ou autres) qui prennent la relève n’arrivent que très difficilement à en assurer la solidité. Le seul espace social où des consensus semblent quelque peu durables, à vrai dire, se trouve là où le « sens commun » correspond aux modes de penser hégémoniques, ceux notamment du conformisme néolibéral globalisé. Les sujets en quête de croyable doivent, bon gré mal gré, s’en accommoder.
Une conséquence de cette conjoncture culturelle est déjà facilement observable : les sujets sont de plus en plus seuls pour trouver ou donner du sens à leur vie. Non seulement doivent-ils alors bricoler ce sens selon les moyens du bord, à partir de matériaux épars, mais ils sont aussi mis en demeure de le protéger des « contaminations » et « souillures » potentielles, voire des entreprises hostiles, réelles ou appréhendées, selon les luttes d’intérêts qui traversent les cultures.
Devant un tel contexte culturel global, on peut faire l’hypothèse qu’une nouvelle dramatique de l’existence est en train de s’installer, sinon un nouveau paradigme de civilisation. Pour estimer ce que cela représente, il faut déplacer son regard et assumer ce déplacement[5]. Sinon, quelle que soit la rigueur qu’on y met, on risque de rester empêtré dans un espace inter paradigmatique aux balises indéfinies, là où les anciennes normes et lois ne fonctionnent plus et où les nouvelles peinent à se faire reconnaître.
Les symptômes de cette impasse sont déjà multiples, allant de la commune fatigue d’être soi[6] jusqu’aux passages à l’acte kamikazes[7], en passant par les enfermements sectaires et les « maladies de la foi »[8] que représentent l’intégrisme et le fondamentalisme, sans compter le désintérêt ordinaire pour le bien commun. Devant le caractère fragile et éphémère du croyable à leur disposition, des citoyens jeunes ou vieux, modernes ou traditionnels, mais tous privés de moyens d’action, radicalisent leur position jusqu’à en faire l’ultime refuge d’une identité en perdition[9]. Individus et collectivités, fragilisés dans leurs usages et incertains de leur avenir, ne sachant plus comment garantir l’authenticité du lien social dont ils ont besoin pour vivre, s’engagent alors dans des processus mortifères.
L’enjeu n’est rien de moins que l’identité, c’est-à-dire ce qui permet à chacun de concevoir sa « singularité par l’extériorité de son voisinage »[10], rendant chaque individu et chaque collectivité unique parmi d’autres. Cet enjeu engage les liens sociaux non seulement en tant que conditions de vie authentiquement humaine, mais comme condition de survie.
Une entreprise de lecture comme celle de la présente thèse est d’autant plus importante que de nouvelles conditions de vie, ultramodernes[11], sont est en gestation. On sait déjà qu’en simple modernité « quelque chose [s’]est perdu, irrémédiablement perdu : l’immédiateté de la croyance »[12]. Or, on peut envisager que cette perte devienne de plus en plus importante et porteuse de souffrance. La perte de l’évidence des croyances communes et de leur support communautaire isole les sujets dans la gestion de leur vie personnelle et face aux risques de leurs choix éthiques et politiques. Certes, l’expérience de la solitude n’est pas nouvelle : elle a depuis longtemps été éprouvée, dans les aventures religieuses, comme sentiment d’abandon (par exemple en Mathieu 27:46) et elle a aussi été diagnostiquée par Freud comme angoisse primordiale (de l’enfant devant l’absence de la personne aimée[13], par exemple). Or elle risque de devenir, en ultramodernité, l’expérience ordinaire d’un sujet privé d’aide, non seulement parce qu’abandonné (de Dieu) ou traumatisé par la violence du monde, mais pour toutes ces raisons à la fois et dans un contexte où elle est vécue comme condition de vie ordinaire.
Loin d’être invalidés par cette expérience de la solitude, les grands récits, bibliques ou simplement mythiques peuvent y trouver une pertinence renouvelée. La compréhension qu’on s’en donne doit cependant, alors, être mise en relation avec les conditions de leur lecture. En effet, si on considère qu’un texte signifie grâce à ses lecteurs, l’un et l’autre, textes et lectures (traditionnelles ou nouvelles peu importe) doivent être confrontés à leurs conditions de production (ou de lecture) pour déployer du sens. Leur réception en est donc relativisée mais, porteuse du désir d’aller plus loin, cette relativisation leur permet d’habiter de nouveaux environnements culturels, d’appeler de nouveaux lecteurs et d’inventer des modes de compréhension inédits. Bref, elle leur donne vie et renouvelle leur pertinence[14]. La consigne de Ricœur, notée plus haut, visant « une altérité qui met en mouvement la pensée sans que ce soit l’altérité d’un sens déjà là, caché, dissimulé, recouvert », prend là une importance primordiale.
De l’intérêt de relire le mythe fondateur d’Ève en contexte moderne et ultramoderne
Dès lors, comment, sur la base d’expériences modernes et ultramodernes, notamment féministes, relire aujourd’hui un mythe fondateur comme celui d’Ève et lui permettre de supporter des quêtes de sens originales ? Tel est finalement le défi de cette thèse.
La première caractéristique d’un mythe est de s’affirmer comme « forme spontanée de l’être au monde »[15], dans les limites conjoncturelles (espace et temps) du croyable disponible chez ses récepteurs, qu’ils en soient adeptes ou critiques. Collant au plus près de l’expérience, le mythe expose une vérité qui lui est propre. Le défi, pour ses récepteurs, est de saisir le mieux possible son mode opératoire. Ceux qui adhèrent à ses énoncés doivent, pour cela, disposer de quelques outils de distanciation, ne serait-ce qu’un vocabulaire permettant d’en parler et de le poser en objet de connaissance. L’étranger, de son côté, doit tenter d’en saisir la logique interne. Comme devant les aventures religieuses et à vrai dire toutes les productions culturelles, l’auto-interprète doit veiller à la méthodologie de sa distanciation, l’hétéro-interprète doit soigner la méthodologie de sa participation[16]. Dans un cas comme dans l’autre, l’enjeu est de rendre compte de la posture autorisant une parole de la part du lecteur. C’est un enjeu foncièrement éthique : ceux qui reçoivent ne serait-ce que les échos de cette parole sont en droit de savoir ce qu’il en est de sa relativité, sachant que la vérité, là comme ailleurs, est toujours en train d’advenir, c’est-à-dire incomplète. Et que le sujet de cette vérité, en conséquence, s’avère un être en processus.
En toute hypothèse, on pourrait avancer qu’il en est de cette parole comme de ce qui est dit d’Ève dans la thèse : en elle quelque chose « déborde »[17].
Notons aussi que ce trait, avec ses exigences heuristiques, est inhérent à la scientificité d’une démarche intellectuelle, quelle que soit sa « discipline », qu’elle se réclame d’une théologie, des sciences humaines ou de l’expérience psychanalytique. La scientificité, en effet, consiste à mettre en scène à la fois un objet et la relativité de son mode de production : « L’erreur n’y joue pas seulement le rôle d’un accident psychologique, elle fait pour ainsi dire partie intégrante du mouvement de l’esprit »[18]. Les récepteurs des objets mis en discours doivent être en mesure de saisir ce qu’il en est des limites de ce discours. Bref, c’est grâce à la reconnaissance de ses limites que la science donne à penser. Notons en passant qu’une telle posture éloigne des idéologies scientistes, modernes ou anciennes, qui font de la connaissance un capital de savoirs au service d’un pouvoir en mal de légitimité.
À peu près tous les interprètes des récits fondateurs de civilisations conviennent aujourd’hui du fait que la vérité de ces derniers n’est ni littérale, ni historiquement vérifiable par des traces attestatrices ou des données probantes. C’est une vérité qui se dévoile, pour ainsi dire, dans les effets de vie ressentis par celles et ceux qui la rencontrent : reconnaissance d’un mieux-être, sentiment de complétude, voire joie de trouver une cohérence au monde, un nomos dans le chaos[19]. Il en est de la vérité des mythes comme de la beauté : c’est un ressenti qui met en mouvement. Il s’agit, au-delà des limites vécues, d’envisager un monde autre, sublime, qui fait signe du mouvement, du dépassement : « jouissance du signe de la mort niée »[20].
Les mythes permettent ainsi de composer « un sens qui apparaît menacé dans la trame de l’expérience courante »[21]. Expressions d’une sagesse de vie, sagesse pratique, ils expriment tout autant la fragilité de l’être, ses conditions réelles d’existence, que ses aspirations conscientes ou inconscientes à autre chose. Aussi, sont-ils moins destinés à être connus qu’à être vécus « en vue de permettre au désir et à l’espoir d’envisager le présent et l’avenir avec une assurance convenable »[22]. Qu’ils soient traditionnels ou modernes fait peu de différence : les mythes engagent la vie.
On pourrait sans doute en dire autant des postures fragiles et flottantes[23] des aventures croyantes en général. Quoi qu’il en soit, la conséquence en est que, logiquement, l’étude d’un mythe ou de sa réception suppose la confrontation de deux postures, sinon explicitement croyantes, du moins chacune porteuse d’une implicite « sagesse de vie », deux postures « mythiques » en quelque sorte, dont l’une appartient au trésor déposé par les réceptions historiques des énoncés, et l’autre à l’expérience du récepteur (lecteur, auditeur, analyste...). C’est dans cette confrontation, dont il faut apprendre à conjuguer les termes, qu’un mythe dévoile et renouvelle sa vérité[24].
Cela ne remet pas en cause la possibilité et la pertinence de relire les grands récits et leur réception dans l’histoire, mais cela pose un défi heuristique important, défi qui s’impose, en fait, dès lors qu’un sujet se trouve confronté à l’altérité d’un autre sujet et tente de reconnaître les valeurs qui l’animent : il met alors en jeu sa propre identité. La rencontre de l’altérité pousse à appréhender sa propre réalité, ce qui suppose de confronter l’image qu’on porte de soi-même (son mythe propre) avec le système représentationnel dans lequel l’autre se manifeste.
On comprendra que la problématique présidant au regard de l’analyste ou de l’observateur soit d’autant plus sensible qu’elle est tributaire d’un système de valeurs cultivant des inégalités entre les protagonistes. Toute position de supériorité, à vrai dire, aveugle celui ou celle qui s’y tient, jusqu’à rendre son langage inapte à dire quelque chose de la réalité qui lui est étrangère. Dans la mesure où on se sent supérieur, on perçoit le monde « eyes wide shut », comme dans le film éponyme de Stanley Kubrik[25]. Le mot « traditionnel » lui-même, loin d’être aseptique, possède une charge diffamante sinon carrément négative quand son utilisateur s’estime « moderne » et fait de cet état le point culminant d’une évolution dont il se croit bénéficiaire. Rabelais disait que les mots signifient « à plaisir ». Leur valeur est relative aux bénéfices qu’en tirent les interlocuteurs. Ils ne peuvent dès lors être compris qu’en fonction de l’économie du désir qui préside à leur énonciation.
Comment dès lors l’inscription dans un contexte culturel contemporain, avec ses mythes propres, peut-elle autoriser la lecture du mythe adamique, considérant en particulier les énigmes posées par la figure d’Ève ?
Relire le mythe d’Ève comme faille des modelages identitaires
Cette thèse propose une posture heuristique en vertu de laquelle « ce qui se joue dans le récit, mais plus encore dans la Tradition, c’est la place de la femme en tant que métaphore d’un manque perçu comme une faille insoutenable »[26]. C’est en tant que sujet de cette faille que « les hommes perçoivent la femme comme inférieure, parce que manquante et manquée »[27]. L’effet de cette perception est bien repérable dans les lectures traditionnelles du mythe d’Ève et dans les espaces culturels qui en sont influencés. Assignées à faire signe de la perte, les femmes cessent d’y être sujets de leur propre dynamisme en tant que part de l’Adam, pour devenir objets de convoitise. Leur présence au monde en devient alors littéralement obscène[28].
Cette stigmatisation du féminin (par ailleurs de sens commun) est démontrée ici de façon éloquente. Elle laisse penser, notamment, que ce manque, cette « faille insoutenable », n’est pas spécifique aux femmes, mais constitutif de l’Adam, cet être créé homme et femme, en Gn 1. Il faut aussi noter, en effet, que la proposition de la Genèse reste incomplète si on tronque ses énoncés en oubliant que dans le rôle assigné à Ève ce qui est « imparfait », la « faille », « se fait aussi trait d’union : elle fait coupure, mais elle relie »[29], comme le souligne la thèse.
La lecture du mythe ainsi proposée donne à penser que la figure d’Ève est non seulement pertinente, mais devient essentielle en contexte contemporain de remodelage des signes identitaires. Dans l’espace relativement restreint des pratiques sexuelles qui en font symptôme, ce remodelage va de l’hypersexualisation des individus jusqu’à la dénégation des différences et leur effacement, voire l’ouverture à l’indéfini des possibles (comme dans l’archipel acronymique LGBTQIA2+, où le + indique justement cette ouverture). Or, un tel remodelage invite déjà à renouveler la composition des liens sociaux[30], et sans doute tente de répondre à la dramatique de l’existence qu’implique la globalisation.
Considérant ce contexte, on n’a évidemment pas fini d’investiguer ce que peuvent induire les propositions de cette thèse. Elles permettent de renouveler, notamment, la compréhension du péché originel, dans le sens esquissé par Daniel Sibony qui en fait non pas tant un récit de chute qu’un récit de la découverte du désir comme structure subjective, une structure singulière à chacun, qui fait vivre, souffrir et mourir[31].
Ève et la question du masculin
Il reste que, dans cette thèse, il est parfois difficile de discerner jusqu’à quel point le vocable « homme » renvoie à l’humanité, tel qu’énoncé en Gn 1 : « Dieu créa l’homme à son image, homme et femme le créa », ou à la part masculine de celle-ci[32]. Il faut dire que la langue française, ici, ne facilite pas le déploiement de la pensée ; elle fait symptôme (elle aussi), en confondant allègrement les deux régimes de signifiés possiblement supportés par le signifiant « homme » : celui de l’humain et celui de la virilité.
Certes, ceci dit, beaucoup de questions resteraient à déployer. Chacune nécessiterait sans doute des travaux d’envergure et de qualité équivalentes à la thèse, sans compter la pertinence du dialogue souhaitable avec ses avancées. Pour ouvrir encore le débat, signalons simplement une de ces questions. Si, dans le mythe adamique, la femme est produite comme métaphore du manque, que devient alors la part masculine de l’Adam ? Elle fait plutôt pâle figure si on s’en tient à cette histoire de tentation et de péché originel qui a servi à la diffamation du féminin – du simple fait qu’on le dit femme –. Le mythe, ici, donne peu de consistance à la virilité, sinon celle d’être produite d’un désir qui, pour subsister dans l’être, implique que l’humain invente toutes sortes de subterfuges et divertissements. Au point que cette virilité, il ne lui reste souvent, pour subsister, que le royaume phallique des simulacres et du « faire croire », dans les jeux de pouvoir et de domination où le discours fonctionnel sert d’alibi aux jeux de séduction[33]. On pourrait vraisemblablement pousser la logique jusqu’à suggérer que si, dans l’économie du désir, le féminin est métaphore du manque, le masculin, lui, est métonymie du simulacre, confondant le contenant (le phallique et son théâtre) et le contenu (l’humain). S’il est pensable que « homme et femme il les créa », n’est-ce pas, là aussi, l’Adam, homme et femme, qui est en jeu ?
Il y aurait d’autres belles thèses à produire là-dessus !
[1] Lydwine Olivier, Ève, du manque au sujet-femme : une relecture discursive du désir de la femme dans Gn 3 à partir de ses réceptions, Thèse, Université de Montréal, 2020, https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/26266. L’auteur du présent commentaire était membre du jury du jury de cette thèse.
[2] Dans la première partie de sa thèse, Lydwine Olivier regroupe un certain nombre de textes choisis qui vont de l’époque intertestamentaire à l’Église actuelle pour montrer le regard que des hommes ont pu porter sur les femmes et sur Ève, et son incidence sur les femmes comme sur la figure d’Ève.
[3] Paul Ricœur, « Le symbole donne à penser », Esprit, vol. 27/275, 1959, p. 68.
[4] Comme l’annonçaient déjà les travaux de Marshall McLuhan et Bruce Powers (The Global Village: Transformation in World Life and Media in the Twenty-first Century, New York, Oxford University Press, 1989). Il ne faut pas confondre cette globalisation (qu’en français on appelle aussi « mondialisation »), avec la mondialité qui suppose, elle, de reconnaître la diversité des expériences et la richesse inaliénable de chacune. Sur la mondialité, voir Patrick Chamoiseau, Frères migrants (Paris, Seuil, 2018), de même que les travaux du poète et essayiste martiniquais Édouard Glissant, Poétique de la relation (Paris, Gallimard, 1990).
[5] Ce qui est, notamment, une proposition clé de Claude Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Paris, Plon, 1983.
[6] Voir les textes d’Alain Ehrenberg, dont La fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 1998.
[7] Cf. Laurent de Sutter, Théorie du kamikaze, Paris, Presses Universitaires de France, 2016.
[8] L’expression est de Gérard Siegwalt dans Le défi ecclésial. Une voix protestante pour la réalisation de l’Église. Écrits théologiques IV, Paris, Éditions du Cerf, 2016.
[9] Joan Marschal, par exemple, signalait déjà la chose chez les anglicans de Montréal, en 1994. Cf. A Solitary Pillar. Montreal’s Anglican Church and the Quiet Revolution, Montreal & Kingston, McGill-Queen’s University Press.
[10] Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 27.
[11] À propos du concept d’ultramodernité, voir Anthony Giddens, Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1994 ; Jean-Paul Willaime, « Individus, communauté, société », conférence donnée au cours de la session 2008 des Semaines Sociales de France, Les religions, menace ou espoir pour nos sociétés ?, 2008.
[12] Paul Ricœur, « Le symbole donne à penser », Esprit, vol. 27/275, 1959, p. 68.
[13] Freud, Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 2003, p. 493.
[14] « Une sagesse juive ancestrale dit que dans une bibliothèque, les livres nous appellent et nous disent "Interprète-moi !". Ils ne disent pas "Lis-moi" ». Delphine Horvilleur, « Abraham et le sacrifice : peut-on négocier avec Dieu ? », entrevue radiophonique sur France Culture, Les chemins de la philosophie, épisode 1, 24 août 2020, 58 min. https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/lancien-testament-14-abraham-et-le-sacrifice-peut-negocier-avec-dieu-0.
[15] Georges Gusdorf, Mythe et métaphysique, Paris, Flammarion, 1953, p.16.
[16] Voir à ce propos Henri Desroche, Sociologies religieuses, Paris, Presses universitaires de France, 1968.
[17] Cf. section 6.4.2 de la thèse.
[18] Gilles-Gaston Granger, Pensée formelle et science de l’homme, Paris, Aubier, 1960, p. 9. Voir aussi Michel Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971.
[19] Peter Berger, La religion dans la conscience moderne, Paris, Centurion, 197, p. 55 : « Nomos : un monde symbolique culturellement surimposé à notre milieu, plus précisément ornant le chaos des choses d’un cosmos à la fois beau, cosmétique, et ordonné où l’humain puisse sentir sa présence significative et sa culture en continuité avec l’univers, i.e. "naturalisés", puisque "le nomos et le cosmos apparaissent dès lors comme co-extensifs" ».
[20] Cf. Claude This, « L’instant de création », Le Coq-héron, 213, 2013/2, p. 46 -51.
[21] Jean-Paul Audet, “Le mythe dans le double univers du langage et du sacré”, Dialogue, vol. VII, no 4, 1969, p. 532.
[22] Jean-Paul Audet, “Le mythe dans le double univers du langage et du sacré”, Dialogue, vol. VII, no 4, 1969, p. 543.
[23] Cf. Michel de Certeau, « La faiblesse de croire », Esprit, 1977, no 4-5, p. 231-245.
[24] Cf. Jean-Paul Valabrega, Les mythes, conteurs de l’inconscient, Paris, Payot, 2001.
[25] Warner Bros, 1959, 159 min.
[26] Cf. section 9.1 de la thèse.
[27] Idem.
[28] Idem.
[29] Cf. section 9.3 de la thèse.
[30] « However beyond and beautifully you identify let us meet and build more space and place for one another », stipule par exemple Google Search.
[31] Cf. « Séduction, fantasme et origine », Le Journal des psychologues, 2008/6 (no 259), p. 22-26.
[32] Le choix de l’auteure a été de ne pas traduire le terme « adam », qui peut vouloir dire « l’humain », l’Adam créé homme et femme en Gn 1, ou « l’homme » en tant que masculin, ou bien Adam, le premier homme.
[33] Relire ici Jean Baudrillard, « Fonction-signe et logique de classe », in Pour une critique de l’économie politique du signe, Paris, Gallimard, 1972, p. 7‑59.