Les vieux en habits de personnes âgées, par Marie-Ève Garand, vol. 4
Octobre 2022, Marie-Ève Garand
Marie-Ève Garand est directrice du CEINR depuis 2005. Elle est théologienne et psychanalyste, professeur associée en formation clinique de la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke et professeure invitée à l’Université de Montréal. Elle dispose de plus de 15 ans d’expérience en intervention dans différents milieux communautaires et scolaires. Détentrice d’un doctorat en science des religions et d’une maîtrise sur la question spécifique de l’écoute et de l’intervention auprès des adeptes et des anciens membres de groupes sectaires, les recherches de Mme Garand se concentrent notamment sur la question des liens entre croire, santé, et quête à exister.
Citer l’article : Marie-Ève Garand, « Les vieux en habits de personnes âgées », Revue Ouvertures vol. 4 – Temps et passages, p. 125-158.
Résumé :
Au Québec, la crise sanitaire de la covid-19 a été un puissant révélateur d’un âgisme systémique et répétitif qui se matérialise par un grave problème de maltraitance envers les aînées. Sur le plan collectif, le vieillissement de la population se discute en termes de coût et de poids démographique. Sur le versant individuel, la vieillesse se discute en termes de dégénérescence, d’usure, de risque ou de maladie. Ce regard, porté sur ceux que le Québec appelle poliment « les personnes âgées », entraine envers eux un traitement collectif et individuel empreint d’âgisme, d’agressivité, de violence, de maltraitance qui va jusqu’à se matérialiser par la mort violente d’aînés. Comment en est-on venu à traiter de cette façon ceux qui, durant toute leur vie, ont largement contribué à allonger les nôtres ? Cet article est une réflexion à la fois sur cette douleur des « vieux » de se faire exclure, de se sentir exclus et d’être maltraités, et sur la violence systémique et répétitive que notre société québécoise leur fait vivre. Il veut amorcer un espace de discussion sur la façon dont, collectivement, nous pouvons penser et panser la vie des êtres dont le corps est usé par le temps. En proposant de passer d’une logique de maltraitance à une recherche de compréhension de la cruauté – dont la crise sanitaire permet de montrer les liens avec la « pulsion de contrôle » –, cet article veut ouvrir un espace de réflexion et de remise en question de notre inquiétant rapport aux aînés.
Mots clé: Personnes âgées, vieux, âgisme, Québec, CHSLD, hospitalité
Abstract:
In Quebec, the covid-19 health crisis has been a powerful indicator of a systemic and repetitive ageism that is materialized by a serious problem of elder abuse. On the collective level, the ageing of the population is discussed in terms of cost and demographic weight. On the individual side, old age is discussed in terms of degeneration, wear and tear, risk or illness. This view of those whom Quebec politely calls "elders" leads to a collective and individual treatment of them that is marked by ageism, aggressiveness, violence and abuse, which even takes the form of the violent death of the elders. How did we come to treat in this way those who, throughout their lives, have largely contributed to lengthening ours? This article is a reflection both on the pain of the "old people" of being excluded, of feeling excluded and of being mistreated, and on the systemic and repetitive violence that our Quebec society makes them experience. It aims to initiate a discussion on how, collectively, we can think about and heal the lives of people whose bodies are worn out by time. By proposing to move from a logic of mistreatment to a search for understanding of cruelty - whose links with the "control impulse" can be seen in the health crisis - this article aims to open a space for reflection and questioning of our disturbing relationship with the elderly.
Keywords: Elders, old people, CHSLD, Québec, ageism
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En guise de préambule
Ce texte est le fruit d’un long travail de réflexion sur la situation de cruauté envers les personnes âgées. Ce travail a été entamé à l’Unité de médecine familiale de Rouyn-Noranda, dans la région Québécoise de l’Abitibi, en collaboration avec les médecins partenaires. Il s’est poursuivi au fil des 10 dernières années avec les étudiants en médecine qui ont fréquenté notre milieu de formation universitaire. La particularité de notre réflexion est donc de s’inscrire dans une approche transculturelle et transdisciplinaire. Transculturelle, parce que c’est avec la contribution de la réflexion et de la parole des étudiants-résidants étrangers[1], et plus particulièrement encore la prise au sérieux du choc et du scandale qu’ils vivent lorsqu’ils découvrent les CHSLD[2] et la manière dont nous traitons les aînés du Québec, que nous avons alimenté notre réflexion. Transdisciplinaire, parce qu’elle a été et continue d’être alimentée par les nombreuses formations et réflexions rassemblant, médecins, infirmières, travailleurs sociaux et psychanalystes sur la question du traitement des aînés. Nous avons besoin du regard de l’autre, à la fois semblable et étranger, pour parfois mieux nous regarder. Et, ce que nous voyons sous les beaux habits lisses du vocabulaire édulcoré qui nous parle « des personnes âgées », de leurs besoins et de leur mode de vie, ce sont trop souvent des « vieux » démunis qui se sentent exclus de cette société québécoise qui va trop vite, à l’heure d’un Internet et d’une virtualité qui les dépassent.
Nous assistons à l’isolement et la solitude des aînés, qu’ils vivent chez eux ou dans une chambre d’hôpital ou de CHSLD, abandonnés. Abandonnés par un « système » qui n’a plus ni le temps, ni les ressources humaines, ni le cœur et l’humanité nécessaires pour les faire marcher, prendre le temps de discuter avec eux, et les accompagner dans leurs dernières années de vie. La question de la « maltraitance systémique des aînés » est le fait d’un système de santé toujours plus bureaucratique, qui va jusqu’à compter le nombre de secondes et de minutes passées par les préposés à prendre soin des personnes (que ce soit pour tailler la barbe, installer une culotte d’incontinence, ou couper les ongles), ce qui impose un rythme de « prise en charge » impossible, tant il relève d’une logique industrielle, où les personnes sont traitées comme des corps à traiter à la chaîne, de manière robotique. Et cette question alimente nos réflexions éthiques depuis de nombreuses années. Car une telle situation est paradoxale. Pendant que nos politiques investissent toujours plus de temps et d’argent pour non seulement prolonger la vie, mais rendre possible une vie vieille et en santé, comment comprendre cette déshumanisation du soin aux aînés, qui se retrouvent trop souvent, comme le mot l’indique, réduits au rang de « personne » : ils ne sont en effet plus « personne », mais des « aînés » dont les besoins doivent être pris en charge d’un point de vue technique.
La question des soins aux aînés est une question urgente qui doit être mise au travail dans les différentes équipes de santé. Mais surtout cette situation doit nous interpeller. Les progrès scientifiques et médicaux de notre civilisation ont permis d’augmenter significativement l’espérance de vie au point de réaliser un exploit, celui de rendre possible la vie vieille au plus grand nombre de personnes. Si on y pense deux secondes, il est extraordinaire de pouvoir espérer vivre maintenant jusqu’à 85 ans plutôt que 44. Dans ce contexte, la vieillesse devrait être une source de fierté et de valorisation collective, une occasion de célébrer le progrès rendu possible par la science. Or, il se répand dans l’air l’idée de plus en plus malsaine que le vieillissement de la population serait un poids, une charge économique, un problème de société à régler, voire pire : dans le cadre d’un événement-spectacle, Will Prosper, ex-candidat de la formation politique Projet Montréal, s’en est pris aux « vieux ». Il les tient responsables des résultats électoraux du 3 octobre qui ont reconduit le gouvernement Legault au pouvoir, et insiste en se demandant comment on pourrait se débarrasser d’eux, en évoquant la méthode des « Allemands » ! Selon les propos rapportés par Mario Girard, les spectateurs ont alors, au moins pour la majorité ayant une conscience, ressenti un malaise[3]. Heureusement pourrait-on dire, car de tels propos, sont extrêmement graves, et l’appel à la violence qu’ils contiennent envers une catégorie de personnes ne peut pas être toléré, même sous le couvert de l’humour.
On peut s’en prendre personnellement à Will Prosper pour ses propos dont il est le seul responsable. Mais le fait reste que cette idée de la mort des vieux comme « solution » au problème du vieillissement de la population est une idée qui circule et se murmure trop souvent. Tandis que, sur le plan collectif, le vieillissement de la population se discute en termes de coût et de poids démographique, sur le versant individuel, la vieillesse se discute en termes de dégénérescence, d’usure, de risque ou de maladie. Porter attention à notre discours invite à revisiter notre rapport aux aînés et plus spécifiquement à notre propre vieillissement. Vieillir nous ferait-il peur ? La fragilité des aînés nous ferait-elle trop souffrir pour que nous puissions lui faire une place humaine ? De plus, au-delà de la question de la déshumanisation des soins cliniques, question majeure s’il en est, se pose aussi celle de savoir comment nous accueillons et offrons l’hospitalité à deux nouvelles générations d’humains, soit les personnes du 3e et du 4e âge. La vie vieille, la vie prolongée grâce à la technique, est une vie qui impose un rythme et une erre d’aller incompatible avec celle de la société virtuelle, active, jeune, dynamique, rapide. Comment portons-nous attention à cette différence ? Comment l’accueillons-nous ? Quelle hospitalité faisons-nous au Québec de la vie vieille ?
Introduction : Le « malaise dans la civilisation » du vieillissement de la population
Les sociétés occidentales font face au vieillissement de leur population. Or ce constat dérange. Pourtant, il y a toujours eu des « vieux ». Ce qui est nouveau n’est pas qu’il y ait des vieux. D’ailleurs, si on voulait être dogmatique et prendre la Bible à la lettre, on pourrait même dire qu’il y a des humains qui ont vécu, il y a fort longtemps, bien plus longtemps que nous : Abraham, 175 ans, Mathusalem, 969 ans, Moïse, 120 bougies. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que le mot vieux fasse malaise au point d’être le plus souvent utilisé entre guillemets. Qu’un mot fasse malaise est significatif de la charge et de l’importance de la question qui se joue derrière. Mais alors, qu’est-ce qui est en jeu dans la problématique du vieillissement d’une population ? La nouveauté tient dans le fait que l’atteinte de l’âge vénérable de la vieillesse n’est plus une exception. L’espace-temps de l’âge d’or n’apparait plus dans le discours comme une sagesse rare, mais comme un fait banal. De nos jours, la vieillesse est devenue un espace-temps de l’expérience de la vie humaine accessible au plus grand nombre, une étape attendue de la vie. On nait, on grandit, on travaille, on prend sa retraite du travail, puis de la vie citoyenne, de sa communauté locale, de sa famille et ultimement de sa vie. Si cette trajectoire existentielle parait aller de soi, il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a à peine 100 ans, la mort d’un nourrisson, d’une femme enceinte, d’un jeune dans la force de l’âge était monnaie courante. L’amélioration des conditions sanitaires, l’éducation, le développement des mesures d’hygiène, le développement de la pharmaceutique, de la technique et des moyens médicaux ont été rendus possibles par l’investissement collectif de temps et d’argent investi pour prolonger la vie humaine. Le résultat est que, pour la première fois de notre histoire, l’expérience de nos vies s’est allongée au point de devenir un espace-temps de vie de qualité accessible au plus grand nombre. Au Québec, le fruit des efforts de notre culture a permis de faire passer, en seulement 100 ans, l’espérance de vie humaine d’une durée moyenne de 45 ans à une durée de plus de 85 ans, autant chez les hommes que chez les femmes. Un tel résultat est spectaculaire, voire grandiose !
Mais il impose des reconfigurations sociales, culturelles, familiales et individuelles majeures qui concernent directement le vivre-ensemble. Accueillir dans une culture comme celle du Québec, non seulement une, mais les deux nouvelles générations d’humains que sont les personnes du 3e et du 4e âge, nécessite des transformations et des réaménagements qui ne sont pas sans conséquences. L’arrivée massive de ces aînés met au défi nos capacités d’accueil et d’hospitalité. Un défi d’autant plus grand que, si la science sait prolonger la vie humaine, la science ne peut rien contre l’usure du temps qui passe. La vie n’est pas éternelle. La vie est mortelle. En effet, dans sa dimension matérielle, le corps vivant est amené à s’user selon un processus d’altération, de pertes et de dégradations. Le temps use le corps, l’abîme, le défait, le fatigue, le fragilise jusqu’à son terme. Face à notre passion pour la jeunesse et la santé, comment accueillons-nous et composons-nous avec ce défi qui consiste à prendre soin d’une personne fragile, en perte d’autonomie, d’une personne vieillissante qui ne peut plus subvenir à sa propre « vie toute seule », soit sa vie active et autonome, et qui, de la sorte, nous met face à notre propre finitude, à notre propre usure ? Comment le choc des valeurs propres à la rencontre intergénérationnelle joue-t-il sur chacun ?
Ce choc se traduit dans un mot : l’âgisme, une discrimination fondée sur l’âge[4]. Le drame de l’âgisme, mis au grand jour lors de la crise sanitaire de la covid-19, est révélateur d’une part d’ombre de notre civilisation, en révélant la part sombre de nous-mêmes, celle que nous ne pouvons ou ne voulons pas voir. Durant la crise sanitaire, cet « angle mort » est apparu si violent à l’échelle mondiale que des organismes internationaux ont lancé un appel aux nations pour mieux le mesurer et en rendre compte plus efficacement afin de le montrer pour ce qu’il est : « un fléau insidieux dont la société souffre »[5], et pouvoir ainsi le combattre en urgence. En effet, comme le dit un rapport commun publié par les grandes organisations internationales[6] :
La riposte à la pandémie de covid-19 a révélé combien ces discriminations sont fréquentes et constituent des stéréotypes sur les personnes âgées, mais aussi sur les jeunes, combien elles ont été utilisées dans le débat public et diffusées par l’intermédiaire des médias sociaux. Dans certains cas, l’âge a été utilisé comme seul critère pour déterminer l’accès aux soins médicaux et aux traitements d’importance vitale et justifier l’isolement physique.[7]
Ainsi, la crise de la covid-19 a révélé que la discrimination fondée sur l’âge peut être mortelle, et spécifiquement l’âgisme envers les aînés, ce dont traitera notre article. En effet, sous le terme d’âgisme se camoufle toute une problématique d’exclusion sociale des aînés et de maltraitance menant à la violence et à la mort. Comme nous allons le voir, l’état de la situation est catastrophique. Et on ne peut pas juste continuer à faire des rapports et des commissions et des enquêtes sur le sort de nos aînés, car l’âgisme dont souffre nos aînés ne relève pas seulement de nos stéréotypes ou de nos a priori, mais aussi, comme nous allons le déplier, d’un grave « malaise dans la civilisation ».
Aussi, sans autre prétention que de chercher à susciter la réflexion et le débat, voire peut-être des remises en question de nos pratiques et de nos milieux, la présente contribution propose de :
1- Commencer par dresser la trajectoire de l’âgisme menant à la maltraitance, à l’exclusion sociale et, ultimement, à la mort des aînés, qui permettra de saisir la part de la cruauté qu’elle contient, et que notre analyse permet de relire dans un mouvement d’après-coup. Cette trajectoire est une dimension civilisationnelle révélée par la crise sanitaire de la covid-19, que nous situons ici dans le contexte particulier du Québec. Mais gardons en mémoire que le vieillissement de la population est un enjeu civilisationnel contemporain mondial.
2- Cela nous amènera dans un 2e temps à réfléchir à ce qui peut entrainer une réaction collective de cruauté envers les aînés. Pour nous orienter dans cette analyse, la notion de « pulsion de cruauté », proposée par Freud comme une réaction humaine face à l’effroi, nous servira de fil conducteur. Comment concilier l’effroi et la cruauté avec l’accueil que nous réservons à nos aînés ?
3- La notion d’accueil nous conduira, dans un troisième temps, à analyser la manière dont le désengagement de l’état dans la problématique de l’hébergement des aînés a conduit les grands conglomérats et les lois du marché à organiser le vieillir dans une logique économique de l’utilisateur-payeur qui repose sur la prise en charge des besoins individuels, en réduisant la vieillesse à une affaire de réponse satisfaisante à des besoins individuels.
4- Finalement, dans un dernier temps, nous dégagerons, à partir de notre parcours, quelques prospectives et pistes de réflexion. Notre objectif dans la présente contribution n’est pas tant de chercher à résoudre le « problème » du vieillissement de la population, mais plutôt à ouvrir des espaces de discussions, non pas « sur les aînés », mais avec les aînés sur les grands enjeux liés au vieillissement au Québec depuis que le contrat social a été rompu. Ouvrir des espaces de discussions collectifs, familiaux et amicaux entourant un des défis majeurs de notre temps, celui de l’accueil et de l’hospitalité de deux nouvelles générations d’humains au cœur de nos civilisations modernes pourrait-il susciter de nouvelles idées de développement d’économies locales qui nous permettent de redevenir, au Québec, maître chez nous de la destinée de nos corps vivants, y compris de nos corps vieux usés et fatigués par la cruauté de l’usure du temps qui passe ?
1- La trajectoire de « l’âgisme » menant à la maltraitance et la mort des aînés
1.1 La gestion de la crise sanitaire de la covid-19 au Québec, un révélateur de l’âgisme de notre culture québécoise.
Durant la crise sanitaire de la covid-19, le gouvernement Legault a confiné l’ensemble des personnes de 70 ans à domicile pendant plus de deux ans. Cette suspension des droits citoyens sur le seul critère de l’âge est une politique âgiste. Cette discrimination fondée sur l’âge a rendu possible une dérive autoritaire qui a conduit à la maltraitance et à la mort de près de 6000 Québécois et Québécoises. Dégager les ressorts qui ont rendu une telle dérive permet d’illustrer le danger inhérent à des politiques discriminatoires et invite à prendre très au sérieux le climat d’indifférence collective qui a rendu possible ce que certains ont appelé un « âgicide » ou même un « géronticide ».
1.1.1 L’enfermement des aînés lors de la crise sanitaire de la covid-19 : l’infantilisation des aînés comme source de maltraitance
Au Québec, la réponse à la crise sanitaire s’est organisée autour de la notion de protection des aînés. En effet, dès le début de la crise sanitaire, soit dès le 13 mars 2020, le premier ministre, Monsieur François Legault a affirmé avec force : « ma priorité c’est de protéger nos personnes âgées »[8]. Le « nos » marque ici un possessif et induit un déplacement : de citoyens du Québec dotés de droits et libertés, les personnes âgées du Québec devenaient « nos » aînés, un avoir dont il fallait préserver la vie à tout prix, y compris même au prix de leur dignité et de leurs droits citoyens. Car, si, le 15 mars 2020, le gouvernement a confiné la province, il faut se rappeler qu’il a surtout demandé à toutes les personnes de 70 ans et plus de s’isoler à domicile. L’ordre a duré 2 ans. Du 15 mars 2020 au 16 février 2022. Deux ans durant lesquels, au nom de leur protection, sous le seul critère de leur âge, sans égard de condition de santé, de milieu de vie ou de mode de vie, un groupe de citoyens et citoyennes du Québec s’est vu dépossédé de ses droits et liberté de circuler, enfermés à domicile avec peu de contact humain ou avec le monde extérieur[9]. Sur quelle prémisse scientifique se fonde une telle décision qui relève précisément d’un âgisme ?
Du point de vue de la connaissance scientifique, l’âge ne peut à lui seul constituer un facteur déterminant le risque de développer une forme grave de la maladie de la covid‑19. L’âge ne constitue pas plus en soi un critère déterminant le risque de létalité accru. En fait, les facteurs de risques associés à la covid-19 sont bien connus. Dès décembre 2020, l’INSPQ mentionne les facteurs de risques, qui relèvent de l’individu : diabète, maladies cardio-vasculaires, chroniques, pulmonaires, patients immuno-supprimés, etc.[10]. Or, comme le révèlent les données de 2016, seuls 41,9 % des personnes de plus de 65 ans souffrent d’une maladie qui les expose à une forme de risque grave. Cela veut dire que plus de la majorité des aînés n’entrent pas dans la catégorie des personnes dites à risque, et ne sont pas malades[11]. Au lieu d’adresser aux personnes les plus vulnérables des recommandations, on a enfermé toute une catégorie de personnes – les 70 ans et plus - : ils se sont retrouvés sous le coup d’une interdiction généralisée de visite[12].
Interdits de sortir de leur chambre, d’aller marcher, d’aller prendre un café, les aînés enfermés au nom de leur sécurité ont vécu un processus d’isolement qui a eu de graves conséquences tant sur leur santé tant physique que mentale. Malades de solitude, elles ont dépéri à vue d’œil. Déjà en mai 2020, Christine Vilcocq, membre du conseil d’administration d’Aide aux Aînés Canada, dénonçait cet isolement forcé des aînés du Québec, et s’inquiétait des effets délétères de l’isolement sur la santé des aînés. En effet, nombre d’intervenants et de cliniciens insistaient pour dire que l’isolement des aînés et le manque de stimulation associé auraient un impact direct sur la santé des personnes isolées. De leur côté, celles-ci se plaignaient de diminution de capacités physiques, de perte de sommeil, de dépressions, de pertes cognitives, qui ont engendré des suicides[13]. Cet isolement a été d’autant plus catastrophique qu’au bout de seulement 6 semaines de confinement, il y a eu rupture de service dans le continuum des soins à domicile : du jour au lendemain, des personnes âgées n’ont plus reçu les services pourtant essentiels au maintien de leur santé et de leur qualité de vie.
Pourtant, malgré les enjeux de santé importants et les risques que couraient les aînés isolés à domicile, le gouvernement Legault a maintenu ses positions au nom de la protection de « nos » aînés. Cela veut dire que l’isolement des aînés menant à leur enfermement a été réalisé au nom du « Bien ». Une telle stratégie a pour effet de rendre impensables le mal et la cruauté. C’est-à-dire que l’écart entre l’intention énoncée par le discours, « protéger au nom du bien », et l’effet vécu, de se sentir mal et en danger, est tellement grand qu’elle abasourdit le sujet. Plongé dans une injonction paradoxale : « si tu vois ta famille, tu seras malade et à risque de mourir » ; « si tu restes enfermé et isolé, tu risques de tomber malade et de mourir ». Les personnes ne peuvent plus réagir. Le sujet est sidéré. La force de l’injonction est d’autant plus forte qu’ici, elle s’enracine autour de la peur de la mort. L’injonction paradoxale ne s’est pas arrêtée aux aînés. La population et les familles des aînés concernés par l’enfermement se sont retrouvées dans une même impasse : « Laisser mourir grand-mère seule et abandonnée ou aller la voir et prendre le risque de la tuer ? ». La peur de contaminer l’autre et de le tuer a été déterminante. Elle a conduit à un silence collectif et une inaction qui ont coûté cher aux aînés du Québec au point que près de 6000 sont morts abandonnés dans des conditions indignes de notre humanité. La mort n’a pas été la seule conséquence de la politique âgiste du gouvernement Legault. Avoir « tout fait » pour protéger les aînés a pesé lourd pour de nombreuses personnes qui témoignent s’être senties infantilisées et d’avoir souffert d’isolement durant la crise sanitaire. Pour elles, le fameux : j’ai « tout fait » du premier ministre Legault a été reçu par son effet signifiant direct : « j’étouffais ». Et ils avaient bien raison de se sentir étouffer, les aînés du Québec !
1.1.2 L’âgisme dans les milieux d’hébergement : une discrimination mortelle
En effet, comme l’ont dénoncé certains intervenants, dont le Dr Hébert, ancien ministre de la Santé durant la première vague de covid-19, la surmortalité des aînés au Québec a été beaucoup plus élevée que dans le reste du Canada. Tellement, que ce dernier parlait même « d’âgicide »[14] pour décrire la situation. Mais c’est dans les maisons d’hébergement que la surmortalité s’est avérée la plus dramatique. Cette situation a été confirmée par l’enquête du Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE) à qui le gouvernement a confié le mandat d’évaluer la « performance du système de santé et des services sociaux dans le contexte de la gestion de la première vague de la pandémie de la covid-19 »[15]. Les données de cet organisme comptent 5 718 décès dans la population des aînés au Québec au cours de la première vague, soit du 25 février au 11 juillet 2020[16]. Ces données statistiques sont glaçantes. Mais, si elles donnent une illustration quantitative de l’échec du modèle québécois à assurer la santé et la sécurité des aînés du Québec, ces chiffres ne disent pas tout, pas plus qu’ils ne parlent tout seuls.
Derrière tous ces chiffres se cachent des drames humains vécus par de vraies personnes faites de chair et de sang, des aînés, mais aussi leurs proches. En effet, chaque chiffre de la suite qui va de 1 à 5718 représente un visage humain pour une autre personne humaine : un grand-père, une grand-mère, un père, une mère, un frère, une sœur, etc. Les terribles témoignages rapportés par les médias et par les commissions d’enquête et discutés sur la place publique sont révélateurs de l’histoire de personnes qu’on a abandonnées dans « l’angle mort du système », qu’on a laissé mourir.
L’expression « laisser mourir » est ici à entendre dans l’équivoque que marque la double étymologie du mot laisser – laxare – qui veut dire se séparer de l’autre et garder en tenant en laisse. Concrètement, cela veut dire que les aînés, déplacés de leur communauté d’appartenance, de leurs proches et de leur domicile pour être placés dans des « milieux de vie », souvent situés loin des centres urbains et des services de proximité et des moyens de transport[17], se sont retrouvés enfermés à double tour et abandonnés à leur triste sort. Privées de soins vitaux et nécessaires à leur survie, abandonnées seules dans une chambre, isolées de toute chaleur humaine, des personnes sont mortes de faim et de soif ; certaines ont été retrouvées gisantes dans leur urine, dans leurs excréments et dans leur vomi aussi. À la profanation des corps vivants s’est ajoutée celle des corps morts, traités dans une indignité et un irrespect effroyable : « La dame est morte le 9 avril et était encore dans sa chambre le lendemain. Son époux souffrait d’Alzheimer et ne se souvenait pas qu’elle était morte. Et il allait la voir de temps en temps, et chaque fois il constatait sa mort »[18]. Certains témoignages entendus dans les médias et retenus lors des rapports d’enquête portant sur l’état de la situation mentionnent même que des aînés auraient été euthanasiés.
Que des personnes puissent mourir en 2022 au Québec dans de telles conditions est indigne de notre Québec et de ses valeurs profondes. On peut légitimement se demander où est passé le rêve de la Révolution tranquille. Qu’est devenu son souffle, son mouvement de créativité qui a propulsé le Québec vers l’avant, vers un meilleur possible ? La coroner Kamel a raison de dire que le contrat moral et sociétal a été rompu[19]. Les victimes de l’âgicide, les aînés qui en sont morts, ce sont des citoyens et des citoyennes du Québec ; de « bons payeurs de taxes » comme on dit pour se rappeler que les sommes versées à l’État l’ont été pour garantir des services dignes et humains jusqu’à la fin de la vie. Or, on a beau payer, force est de constater qu’il n’y a aucune garantie. Le système a failli à assumer sa part du contrat. Non seulement le système a échoué, mais son agir relève d’une culture de la mort. Ce que dénonce à sa façon le chercheur Julien Simard, qui emploie le terme de « géronticide » pour qualifier l’état d’une société qui laisse mourir à grande échelle des personnes vieillissantes dans des conditions indignes et misérables[20]. Son analyse très juste de la logique technocratique et managériale au pouvoir le conduit à situer la non-assistance à personne en danger comme une conséquence rendue possible par un idéal culturel très fort, le néolibéralisme. Il écrit :
Dans le capitalisme avancé, le géronticide prend racine dans un cadre de pensée managérial, bureaucratique, néolibéral. Il émerge dans des conditions propices, telles que la passivité, le laisser-faire, l’impréparation, la non-assistance, le refus d’action, la dénégation, la non-attribution de ressources, le manque d’intérêt, le manque de communication, le mensonge, tout en étant galvanisé par l’âgisme systémique. Le géronticide croît à l’ombre du regard de l’État, qui préfère regarder ailleurs : les personnes vieillissantes ont été « oubliées » dans les institutions de soins, elles meurent présentement seules à domiciles, et elles sont aussi laissées à elles-mêmes lorsque frappent les vagues de chaleur ou les catastrophes naturelles. Bref, le géronticide survient, et ce, quand les conditions matérielles d’existence de sociétés données sont mises à rude épreuve, surtout lorsque résonne l’accord odieux entre événements disruptifs et filet socio-sanitaire troué.[21]
Quel sens peut bien prendre l’expression « mourir dans la dignité dans des institutions d’hébergement » après « l’âgicide » qui a conduit à laisser mourir des personnes dans des conditions d’indignités dans lesquelles on ne laisse même pas des animaux crever ? Que la vie de Québécois et Québécoises puisse être sacrifiée au nom de leur protection théorique, mais au détriment de leur qualité de vie réelle, est en soi un drame. Mais que cela puisse se produire sans grands heurts, dans l’écho du silence radio et des censures institutionnelles et de l’indifférence collective est encore plus inquiétant. En effet, les politiques les plus discriminantes ne peuvent avoir de poids que si des personnes les appliquent. Mais où étions-nous tous, pendant que les aînés se mouraient seuls, terrorisés et abandonnés ?
1.1.3 la dérive autoritaire de l’infantilisation des aînés menant à l’indifférence
Le 3 mai 2022, après la sidération, la parole s’est enfin déliée. La Coalition pour la dignité des aînés a tenu des États généraux sur la situation des aînés à la sensibilisation des traitements réservés aux aînés durant la crise sanitaire. Lors de cette journée, qui rassemblait plus de 90 personnes représentant 45 organismes issus de tous les milieux, le groupe a dénoncé l’infantilisation des aînés du Québec et demandé que le gouvernement mette en œuvre des moyens pour garantir à toutes les personnes âgées des conditions de vie digne. Dans une déclaration commune, le groupe a notamment demandé que : « la bientraitance devienne une valeur fondamentale de la société québécoise, en mettant notamment fin à l’âgisme et à la maltraitance sous toutes ses formes.[22] Dans un article couvrant l’événement intitulé : « les aînés disent avoir été infantilisés par le gouvernement Legault », le Soleil rapporte le témoignage suivant :
On nous le répétait à chaque conférence de presse, nous étions devenus des personnes condamnées à notre résidence. Ça a créé des problèmes mentaux. On ne pouvait même plus sortir pour s’approvisionner. On a vraiment senti qu’on avait atteint un âge plus que difficile. Se faire rappeler au quotidien qu’on était de vieilles personnes a eu un effet important.[23]
Notre analyse des discours montre qu’au Québec, l’âgisme qui a caractérisé l’ensemble des politiques du gouvernement Legault a conduit à l’infantilisation, à la maltraitance et même à la mort de milliers de citoyens et citoyennes du Québec. La commissaire à la santé et au bien-être du Québec, madame Joane Castonguay, qui a recueilli le témoignage des aînés dans le cadre d’une vaste consultation publique, a entendu la voix de nombre d’entre eux et reconnu que la tendance au « paternalisme » et à l’infantilisation des personnes âgées[24] est une faille éthique qui se serait manifestée durant la crise sanitaire de la covid-19[25]. Cette infantilisation des aînés par les politiques gouvernementales et sanitaires au pouvoir, qui témoigne d’une dérive autoritaire, s’est déroulée, rappelons-le, dans une sorte de sidération collective, révélatrice de la manière insidieuse dont la maltraitance se met en place et se déploie dans une logique de banalisation du mal. Mais où étions-nous, bonnes gens ! Une telle dérive est grave. N’oublions pas que cette dérive politique autoritaire a été largement favorisée par la posture parentale d’un premier ministre jouissant des pleins pouvoirs conférés durant l’urgence sanitaire. Le gouvernement, qu’on le dise « patriarcal » ou « matriarcal », a-t-il à prendre la place symbolique des citoyens du Québec ?
Or, l’infantilisation est une forme de maltraitance qui a pour effet « d’altérer le sentiment d’identité »[26] et de favoriser une « régression psychique », réduisant l’aîné à un état « d’infans ». L’infans, littéralement celui qui ne parle pas, n’est plus reconnu comme sujet parlant et désirant appartenant à la collectivité des humains. Il est réduit et placé en position d’objet de soins à qui on ne parle pas, mais dont on prend soin des besoins. Privées de parole, les personnes infantilisées développent des comportements de soumission, de colère ou d’agression face à l’autoritarisme[27]. En effet, quand il n’y a plus d’espace pour parler, pour dire des mots, se raconter, chercher du sens, lorsque le vécu ne peut plus se dire, c’est le comportement qui parle en lieu et place des personnes. Or, quand le vécu d’une personne ne peut plus s’exprimer autrement que par des comportements faute d’espace d’écoute permettre de faire circuler la parole, n’est-ce pas le premier vers l’indifférence envers le vécu des personnes ?
L’indifférence tue. Mais, le mur d’indifférence qui entoure le sort des aînés n’est pas exclusif à la situation de crise de la pandémie. L’indifférence envers la cruauté, l’indifférence envers les vieux, l’indifférence des vieux envers leur propre devenir, ravagent notre culture depuis la fin des années 1980. En effet, l’indifférence, par la force de son processus de déshumanisation, conduit à une banalisation du mal[28]. Cela parce que, comme le montre Freud, d’un point de vue psychique, l’indifférence est un au-delà de la haine et de l’amour, un mur qui produit une déconnexion de l’humain à sa vie vivante, à la vie des autres et à celle de son environnement, qui entraine un consentement passif à la cruauté banalisée sous la forme d’une abdication. Ainsi l’indifférence est le produit d’un lent processus de « désobjectalisation » par lequel l’autre, l’humain à la fois semblable et différent, n’apparait plus ni semblable ni différent. Ils sont désinvestis comme sujet ayant une valeur particulière et unique de personnes et réduits à n’être qu’une catégorie d’âge, « des personnes âgées », dont la conséquence est qu’ils ne deviennent plus personne : ni semblable ni différent. L’autre humain a perdu ses caractéristiques spécifiques : son existence est annulée. Comme le questionne justement Carol Patch-Neveu : « Quand on (les) isole et les enferme plus qu’il ne le faut, est-ce vraiment pour les protéger ou parce qu’on n’a pas le temps d’élaborer des stratégies palliant le risque de régression »[29] ?
1.2 Avant la crise sanitaire de la covid-19 : la maltraitance systémique des aînés
Nous l’avons dit, la crise sanitaire de la covid-19 est un miroir grossissant qui expose nos failles et nos défis collectifs, mais elle n’est pas pour autant la cause de nos faillites. L’âgisme menant à la maltraitance et à la mort des aînées n’est pas un phénomène nouveau qui serait imputable à la crise sanitaire. Le problème de la maltraitance des aînés est un problème de civilisation qui existait bien avant la crise sanitaire de la covid-19. En fait, l’ampleur de la maltraitance des aînés était déjà telle qu’en 2002, l’OMS et l’ONU ont fait inscrire les thèmes de « l’abandon, les mauvais traitements et la violence » dans le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement[30].
Comme le montre une revue de littérature sur la question de la maltraitance, force est de constater qu’au Québec, depuis les années quatre-vingt, les situations d’exclusion, de maltraitance, de négligence vécue par les aînés sont en nombre croissant. Le drame est que non seulement les situations sont en hausse significative année après année, mais que, plus le temps passe, malgré et avec la multiplication des rapports gouvernementaux, la problématique de la maltraitance ne cesse de revenir hanter l’actualité. Cette maltraitance se double d’un discours culpabilisateur envers les aînés : depuis la fin des années 1980, depuis que la vieillesse est associée dans le collectif à une perte financière, à un coût financier, à une dépense supplémentaire, la question des aînées n’est plus discutée que sous une forme négative, en fonction de son coût financier et de son poids démographique. En même temps que la vieillesse apparait comme une perte financière collective, comme un « trou dans les finances publiques », la question de l’âgisme, de la maltraitance, de l’exclusion sociale se sont posées avec une acuité nouvelle.
1.2.1 L’exclusion sociale des aînés comme résultat d’un processus de non-reconnaissance
Pour aborder la question de la maltraitance des aînés, nous commencerons par le problème de leur exclusion sociale, parce qu’elle mène directement à l’isolement des aînés. Or, l’isolement est considéré comme un facteur de risque envers les aînés et reconnu comme une cause de problèmes de santé[31]. Mais surtout, l’isolement social des aînés constitue en soi un facteur de risque associé à la maltraitance[32].
Le problème de l’exclusion sociale des aînés était déjà assez criant en 2013 pour que la Fédération internationale du vieillissement en parle comme le « principal nouveau problème auquel les aînés sont confrontés au Canada »[33]. L’exclusion sociale des aînés réduit leur qualité de vie en entrainant des effets néfastes pour leur santé physique, mentale et existentielle. Elle entraine une sous-valorisation et une mise à la retraite des aînés tant du travail bénévole que du travail rémunéré[34]. Rappelons que le concept d’exclusion sociale pour qualifier la situation des aînés dans nos civilisations industrielles est un concept récent. D’abord apparu en France (Paugam, 1996), ce concept a été repris par des chercheurs britanniques avant d’être maintenant considéré par plusieurs comme un concept incontournable pour parler de la situation vécue par les aînés. En 2010, les travaux de Bilette et Lavoie (2010) ont défini l’exclusion sociale de la manière suivante :
Un processus de non-reconnaissance et de privation de droits et de ressources, à l’encontre de certains segments de la population, qui se réalise à travers des rapports de forces entre groupe aux visions et aux intérêts divergents.[35]
La non-reconnaissance est ici à entendre comme la négation de la reconnaissance, une notion phare dans le champ de la sociologie. Pour en saisir rapidement la portée, disons que la reconnaissance a lieu chaque fois qu’un individu, un groupe ou une institution valide une identité revendiquée par autrui. La reconnaissance est donc une dimension relationnelle. Il n’y a pas de reconnaissance possible en dehors des relations sociales à travers lesquelles elle s’instaure. Pour cette raison, la reconnaissance, dans le champ de la sociologie, est une notion qui agit comme un puissant vecteur de lien social[36]. On comprend alors que le processus de non-reconnaissance est un processus d’exclusion sociale : on ne reconnait plus à l’autre sa place dans la culture, on le pose dans un rapport d’exclusion. Autrement dit, l’exclusion sociale n’est pas seulement une problématique touchant la question de l’hébergement des aînés. Le concept d’exclusion sociale permet de décrire les modalités par lesquelles une personne en est réduite à subir des situations de non-respect et/ou de déni de ses droits dans un processus d’isolement qui touche aux sept sphères de la vie en société : symbolique, identitaire, sociopolitique, institutionnelle, économique, territoriale et dans les liens sociaux significatifs[37]. La dynamique de non-reconnaissance, dans le cas des aînés, vient directement se traduire par un grand isolement social, qui, comme nous l’avons relevé, est un facteur de risque de maltraitance.
1.2.2 La maltraitance comme système : on bat un vieux
Les travaux d’Hélène Guay[38], montre que c’est en 1989 que le premier comité d’experts a été mandaté par le gouvernement pour dresser un tableau des situations d’abus et de violence dans les milieux institutionnel et domiciliaire[39]. Nous découvrons alors avec stupeur que les aînés sont victimes de plusieurs formes d’abus organisationnels et individuels, de type physique, sexuel, psychologique ou financier, ce que confirme, en 1995, le conseil des aînés, lequel écrit au ministre : « le phénomène des abus dirigés contre les aînés existe et [...] il ne s’agit pas d’une réalité nouvelle »[40]. Pour tenter de mieux circonscrire le problème, il est proposé d’ajouter, à la notion d’abus de 1989, celle de négligence[41], en précisant ainsi deux formes de maltraitance bien distinctes : la violence et la négligence. Cette précision permet de situer la problématique de la maltraitance dans sa dimension relationnelle[42]. Or, malgré les percées dans la compréhension de la dynamique de la maltraitance, et malgré le développement d’actions visant « la réduction des situations à risque », rien n’a changé. La situation a continué à se détériorer, au point qu’en 2005, le gouvernement du Québec a adopté un premier plan d’action « pour sauvegarder l’autonomie des aînés ». Le plan proposait entre autres la création d’une table multisectorielle visant à contrer la maltraitance dans chaque territoire local, et encourageait le développement d’espace de discussions et de réflexions locale et municipale afin de réfléchir à des moyens d’action collectifs[43].
Pourtant, en 2009, 4 ans seulement après cette annonce et le développement de ces groupes municipaux, une recherche publiée dans la revue Vie et vieillissement, par le sociologue et juriste Louis Plamondon fait état d’un « âgisme meurtrier »[44] : pour la seule période de 2005-2007, 2370 décès ont fait l’objet d’une enquête pour cause de maltraitance chez les personnes âgées de plus de 65 ans[45]. Parmi eux, le chercheur a répertorié 792 cas (33,4 % des décès) où des négligences actives ou passives ont directement contribué à la mort violente de ces personnes. Face à ce constat catastrophique, un second plan d’action est mis en place en 2010. Ici, le plan privilégie les actions concrètes et directes[46]. Pourtant, en 2015, une enquête canadienne réalisée auprès des personnes âgées de plus de 55 ans établit la prévalence de maltraitance auprès de 8,2 % de cette catégorie de personne[47]. En 2017, un troisième plan d’action constate les avancés réalisées[48], et propose de continuer en développant une meilleure connaissance de la maltraitance pour favoriser la détection rapide des situations et encourager leur divulgation.
Un changement de vocabulaire est aussi proposé. Plutôt que de parler de maltraitance, les experts proposent d’encourager les comportements « bientraitants »[49]. Ce qui ne change rien : en 2019, l’ISQ notait qu’au Québec, près de 80 000 personnes aînées vivant à domicile (6 % des aînés) rapportaient avoir vécu de la maltraitance pendant l’année[50]. Parmi les maltraitances signalées : le chantage affectif, la manipulation, l’humiliation, l’infantilisation, la menace, la surveillance exagérée, la maltraitance physique, sexuelle ou financière (comme le fait d’inciter un aîné à modifier son testament, réaliser des transactions bancaires sans son consentement). Et les maltraitants ne sont pas les professionnels de la santé, mais les proches : conjoints, ex-conjoints, enfants, beaux-enfants, etc. Reconnaitre les différents rapports sur la maltraitance des aînés et leur étendue dans le temps pose deux questions : qu’est-ce qui nous pousse collectivement et individuellement à devenir si cruels envers les aînés ? Et comment encore vivre ensemble de manière sécuritaire si des vieux sont battus et agressés chez eux par des personnes qui, dit-on, en ont la charge ?
2- La question de la cruauté envers les personnes âgées en lien avec l’effroi qu’ils suscitent
Ce qui ressort avec force de l’état de la situation, c’est la récurrence de la problématique de la maltraitance, malgré les nombreux moyens déployés pour lutter contre ce fléau. Que raconte cette répétition ? Pour Freud, la répétition, ce n’est pas n’importe quoi : nous répétons ce qui nous fait le plus souffrir. C’est une question qui ne cesse pas de s’écrire en chair et en acte, comme tentative de trouver une voie pour se libérer. Prendre au sérieux ce statut de la répétition permet alors de saisir que le problème de la maltraitance recèle une question cachée, qui demeure muette tant elle est encadrée par différentes modalités de censure : comment pouvons-nous à la fois investir pour prolonger la vie et maltraiter la vie vieille ? Réfléchir à la question de la maltraitance des aînés est important. Y réfléchir différemment est une urgence : de quoi donc la maltraitance systémique des aînés du Québec est-elle le symptôme ? À cette tâche, convier la notion freudienne de cruauté permet d’élargir la réflexion et de la sortir des officines des gardiens d’une culture patrimoniale transmise par les élites, les universités et autres milieux dits « autorisés », pour rejoindre les citoyens. Plus précisément, réfléchir à la notion de pulsion, donc de surgissement, permet de mieux comprendre pourquoi le fait de chercher à contrôler la maltraitance exclusivement par des voix élitistes est un échec. La cruauté ne surgit pas de la « mauvaise foi » des citoyens, mais de leur « bonne foi » qui, précisément, explique le déchainement de la pulsion de contrôle et de maîtrise de ce qui suscite l’effroi[51].
Précisons. Le mot Grausamkeit, qui signifie cruauté, mais aussi atrocité, férocité, barbarie, est d’abord mis de l’avant chez Freud dans les Trois Essais comme un synonyme du sadisme. Selon cette compréhension, la cruauté est considérée comme une production agressive de la pulsion sexuelle. Ici, la cruauté est reliée à la pulsion sexuelle en répondant au mouvement d’inversion par lequel la libido, dont la caractéristique est d’avoir toujours la même force, transforme l’amour en haine, et la tendresse en hostilité. Parallèlement, Freud note que le terme de Grausamkeit/cruauté dérive aussi de l’allemand Grauen, qui signifie épouvante, effroi[52]. Ce qui l’amène, dans la seconde partie des Trois Essais, à suggérer que la cruauté pourrait être une motion agressive dont la source ne serait alors pas liée à la pulsion sexuelle, mais à la peur, la terreur. En ce sens, la cruauté ne saurait apparaitre comme l’équivalence du sadisme, mais comme une réaction à l’effroi dans le but de maintenir le narcissisme. Ici, la cruauté apparait liée à une pulsion de maîtriser que Freud repère dans le psychique infantile, là où « la pulsion de maîtriser n’est pas encore arrêtée par la vue de la douleur d’autrui, la pitié ne se développant que relativement tard »[53]. Dans Pulsion et destin des pulsions, Freud ajoute que la pitié ne doit pas être envisagée comme une transformation de la pulsion sadique, mais comme une formation réactionnelle[54]. Enfin, si, dans sa formation initiale, la pulsion de maîtriser est indépendante de la pulsion sexuelle, il n’en est pas de même pour la pulsion cruelle. C’est seulement dans un deuxième temps que la pulsion cruelle est susceptible de s’unir à la pulsion sexuelle, par le biais de la peau, et de rejoindre alors la dynamique sadique. Freud écrit : « quand la douleur et la cruauté entrent en jeu, c’est l’épiderme qui fonctionne comme zone érogène »[55]. Autrement dit, la peau est une zone érogène avec des colorations sensuelles, érotiques et sexuelles, précisément ce qui se retrouve en jeu dans le rapport aux soins donnés aux aînés : ces soins impliquent bien souvent un rapport au « moi-peau », un soin du corps et de ses zones génitales qui ont déjà été investis sexuellement dans l’enfance par le lien parental.
Si, comme le mentionne Matot[56], Freud n’a pas poursuivi ces premières intuitions, elles permettent cependant d’expliquer pourquoi la « pulsion de contrôle » a pu se déchainer dans le climat de peur suscité par la pandémie, et interroger notre rapport aux aînés sur deux plans. Le premier est celui de la peur et de l’effroi, qui anime nos rapports avec les aînés, tant d’un point de vue collectif, relationnel que subjectif. Cela permet aussi de réaliser que la peur menant au contrôle peut être de différents ordres : peur que l’aîné tombe, qu’il souffre, peur de voir un corps se dégrader, peur qu’il meurt, mais aussi, peur du reflet qu’il nous renvoie de sa propre destinée fragile et mortelle, etc. Parmi ces peurs, certaines décrivent des a priori, quand d’autres décrivent des situations déjà survenues (par exemple l’aîné a déjà chuté, ce qui amplifie la peur que cela recommence), ou des situations qui vont inévitablement arriver : l’aîné va mourir. Reconnaitre ce rapport que nous entretenons à la peur, à l’effroi, pourrait-il nous aider à maintenir un rapport vivant aux aînés ? Le second plan relève du lien que Freud tisse entre la cruauté et la peau, qui implique un déplacement de la pulsion de contrôle vers le sadisme contrôlant. C’est dire à quel point le contact de la peau est une dimension centrale autour de laquelle s’organise autant le soin aux aînés que la maltraitance envers eux. Ainsi, vouloir sauver la peau des vieux à tout prix, n’est-ce pas précisément vouloir maîtriser l’immaitrisable ? Contrôler l’incontrôlable pour vaincre la peur, n’est-ce pas chercher à sauver sa propre peau ?
Ces quelques éléments liés à la pulsion de cruauté, tels qu’ils sont définis par Freud, permettent de mettre en évidence que la cruauté n’est pas le résultat d’une intention, mais relève d’une dynamique relationnelle qui prend racine dans la peur et l’effroi et qui fait appel à un réflexe infantile d’agrippement, de pulsion de contrôle.
3- De l’hospitalité à l’hébergement : à la dérive des logiques marchandes
Le problème de la cruauté envers les aînés ne peut être abordé indépendamment de la question de l’hospitalité et de l’accueil que nos sociétés réservent aux personnes des 3e et 4e générations, de plus en plus nombreuses, au Québec comme ailleurs. La question de l’hospitalité des aînés est devenue, au cœur de nos civilisations modernes, un enjeu fondamental d’extrême urgence et importance. Le « vieillissement de la population » n’est pas un problème extérieur à nous, mais un problème du « Nous ». Entre cruauté et hospitalité, quelle place réserver, dans un monde centré sur la productivité, l’efficacité et l’efficience, aux personnes qui ne sont plus ni productives, ni efficaces, ni efficientes ? Comment souhaitons-nous, au Québec, mais aussi ailleurs, traiter nos citoyens et citoyennes ? Comment voulons-nous terminer nos propres jours ?
L’histoire de la maltraitance au Québec montre que la cruauté envers les aînés est un phénomène en nette progression depuis la fin des années 1980. Or, c’est dans les années 1980 que la question de l’hébergement des aînés au Québec a pris une nouvelle tournure, en lien avec la crise économique de 1980, le désengagement de l’État de son réseau de soins aux aînés et la privatisation du secteur de leur hébergement. Cette corrélation rejoint l’hypothèse de Julien Simard, pour qui la manière dont le « marché de l’hébergement »[57] a investi le champ du soin et de l’hébergement aux aînés n’est pas étranger au discours capitaliste et à sa logique marchande. Ce changement est reconnaissable dans le déplacement discursif qui s’est opéré du point de vue de l’hospitalité des aînés : on est passé de « l’hospice » aux « milieux d’hébergement pour personnes en perte d’autonomie », puis aux « milieux de vie centrés sur la prise en charge des besoins des aînés ».
Ce changement de vocabulaire n’a rien de cosmétique. Il correspond à la fois à un changement dans l’organisation matérielle de l’hébergement aux aînés, et à la manière dont la trajectoire du vieillir s’est organisé au Québec dans une logique d’exception. L’exception québécoise ici, c’est le fait qu’au Québec, plus que partout ailleurs au Canada[58] les aînés vivent dans des hébergements privés ou publics : des « milieux de vie pour aînés ». Il y a donc au Québec une tendance lourde à utiliser les ressources en hébergement, qui doit être rapprochée d’une autre tendance lourde : le poids du marché et de ses publicités. Cette trajectoire est directement reliée à la fois à l’introduction du discours capitaliste à tous les niveaux d’organisations, et à la trajectoire du vieillir, qui s’est organisé au Québec autour d’un rêve impossible : celui de milieux de vieux pour aînés capables de « prendre en charge (tous ?) les besoins » des aînés du Québec.
Suivre de près ce mouvement permet de dévoiler la manière dont l’introduction des logiques marchandes dans le champ de l’hébergement a conduit à une inversion des valeurs. En effet, sous l’auspice du discours capitaliste, ce n’est plus la valeur de l’être, donc celle de la vertu, de la morale ou de l’éthique qui est au centre des décisions, mais celle de l’avoir, donc des finances ou encore de la gestion du manque (manque de ressources, de personnel, de temps, etc.) et des lois du marché économique. Une telle inversion des valeurs n’est pas que théorique. Elle impacte directement notre manière même de penser l’hospitalité de deux nouvelles générations d’humain autant que la trajectoire du vieillir au Québec.
3.1 L’hospitalité comme pacte de non-agression fondement de la vie civilisée
Dans son sens commun, le terme d’hospitalité réfère à une pratique individuelle d’accueil chez soi d’un visiteur, soit « l’action de recevoir et d’héberger chez soi gracieusement quelqu’un, par charité, libéralité, amitié »[59]. Cette définition du dictionnaire garde les traces de ce qui, du point de vue de l’anthropologie et de la théologie, désigne une pratique d’hospitalité[60], à la différence près que, dans une perspective historique, l’hospitalité n’est pas une pratique individuelle, mais un devoir collectif qui, d’un point de vue existentiel, est considéré depuis des lustres comme un devoir sacré qui constitue un pilier civilisationnel. En effet, chez les Grecs, l’étranger bénéficie de la protection des dieux et c’est comme tel qu’il doit être accueilli. Platon insistera, dans les Lois (V, 729e sq.) : pour lui, l’engagement à l’endroit de l’étranger est « le plus saint ». Si l’hospitalité est un devoir sacré, ce n’est pas par hasard : c’est une forme de contrat social, un pacte de non-agression autour duquel se construit la possibilité de se déplacer de ville en ville de manière suffisamment sécuritaire pour que, durant ses déplacements, tout voyageur puisse trouver un accueil fraternel et amical. À noter que l’hospitalité se vit tellement comme une réciprocité que le mot « hôte » désigne à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu. Or, les pratiques d’hospitalité n’ont pas changé. Il s’agit pour un hôte d’accueillir en offrant quelque chose de soi : par exemple partager son toit, partager le vin, la nourriture ou même un lit. En contrepartie, l’hôte invité reconnait les droits et les règles de l’hôte comme étant sienne « sous son toit ». Partant ainsi du principe que le devoir d’hospitalité est donc le partage d’un espace, d’un repas scellant un pacte de non-agression, le vivre ensemble est possible. En ce sens, le devoir d’hospitalité est à mettre en lien avec le droit de circulation, soit le fait d’aller et venir[61]. Sur son versant relationnel, les personnes qui se retrouvent placées sous cette loi sacrée passent du statut d’étranger, donc d’ennemi potentiel, à celui d’hôte[62]. C’est ce passage qui signe l’alliance humaine.
L’hospitalité a donc un lien direct avec l’hôte qui, dans son étymologie grecque xenos (que la langue conserve dans le mot xénophobie), désigne l’étranger. Dans son étymologie latine, l’hospitalité provient des mots hospes et hostis qui renvoient l’un à l’autre. L’hospes désigne celui qui reçoit l’hostis, l’hôte ou l’étranger envers qui on a des devoirs d’hospitalité[63]. Ces mots ont donné les termes « hospice », « hospitalité », « hôpital »[64].
Ces quelques éléments montrent que le caractère sacré de l’hospitalité n’est pas une exclusivité du christianisme. En faisant de l’hospitalité une vertu sacrée liée à la charité, le christianisme s’est situé dans un rapport de continuité historique avec les civilisations qui l’ont précédé, sans en être l’inventeur ni le dépositaire. Avoir laïcisé notre culture québécoise ne justifie donc en rien le renoncement collectif aux devoirs civilisationnels millénaires, qui ont fait de l’hospitalité un devoir d’accueil de l’autre à la fois étranger et semblable. Par le pacte de non-agression que le devoir d’hospitalité impose, la loi de l’hospitalité garantit à celui qui reçoit autant qu’à celui qui est reçu qu’il ne sera pas maltraité et traité cruellement. Or, c’est précisément ce pacte de non-agression qui s’est perdu avec le passage de l’hospitalité à l’hébergement. Héberger un humain n’est pas synonyme de lui faire hospitalité, comme le prouvent de nombreux rapports d’experts : au Québec, des vieux sont battus et agressés chez eux par des personnes à qui, dit-on, il incombe la responsabilité de la prise en charge. Comment encore vivre ensemble de manière sécuritaire si le domicile des personnes n’est plus un lieu sécuritaire ? Ici, il importe de dire que ce n’est pas la première fois, dans l’histoire du Québec, que le rapport à l’hospitalité est bafoué. En effet, lorsque nos ancêtres sont arrivés et qu’il a été temps de négocier avec les Premiers Peuples le partage du territoire, n’avons-nous pas renoncé à ce pacte de non-agression envers nos hôtes ?
3.2 Du projet de la Révolution tranquille à la privatisation tranquille, ou le détournement du rêve d’une génération
Avant la grande réingénierie de l’état que fut la Révolution tranquille, il y avait au Québec un réseau d’hospices, tenu principalement par des congrégations religieuses. Leur mission était d’offrir aux pauvres et aux indigents accueil et soins dédiés[65]. Après la Révolution tranquille, l’État a décidé, suivant les recommandations de la commission Castonguay-Neveu[66] de nationaliser les institutions d’hébergement afin d’offrir le service à tous les Québécois en perte d’autonomie, sans distinctions aucunes. Cette idée reposait sur un postulat fondamental : améliorer la distribution des services de santé et de services sociaux, améliorerait l’état de santé et de bien-être de la population québécoise. L’État a donc nationalisé les différentes institutions qui fournissaient ces services, y compris les milieux d’hébergements pour aînés. Il a également favorisé la mise en réseau communautaire des services en créant les CLSC[67]. Ce projet a été au cœur de la Révolution tranquille et a fait la fierté du Québec. Plus jamais dans un Québec moderne des gens ne mourraient dans la pauvreté et l’indigence faute de soins.
Portée par ce rêve et confrontée par le vieillissement de leurs propres parents, la génération dite des « baby-boomer » a alors investi des sommes d’argent et d’efforts considérables pour construire un réseau d’hébergement capable de faire hospitalité aux parents des « boomers » et aux « boomers » eux-mêmes. Maintenant que les boomers sont rendus à l’âge de la vieillesse et qu’ils commencent à utiliser les ressources pour lesquelles ils ont payé toute leur vie, que reste-t-il de ce réseau de santé et de services sociaux issu de la Révolution tranquille ? Il n’en reste rien. Le démantèlement du réseau a commencé dans les années 1980. Au plus fort de la crise qui secouait les finances publiques du Québec, le questionnement de la légitimité du modèle dit de « l’État providence » et de son modèle de gestion a été amorcé. À partir de ce jour a débuté un lent, mais efficace processus de désengagement de l’État dans les soins aux personnes âgées - dont on voit actuellement la même logique se faire sentir au niveau du système de santé -, au point que d’aucuns parlent même de « privatisation tranquille »[68] tant du réseau de l’hébergement aux aînés que du système de santé et de services sociaux pour décrire l’état actuel de la situation.
Concrètement, la privatisation tranquille s’est traduite dans le fait d’avoir laissé aux valeurs financières et aux lois du marché le développement et l’organisation d’un secteur de civilisation relevant d’abord et exclusivement du collectif et de la relation humaine. Autrement dit, en organisant la privatisation tranquille, nos gouvernements successifs ont cédé le projet et l’investissement de la Révolution tranquille aux mains du marché en laissant les logiques marchandes déterminer la trajectoire du vieillir au Québec. Ce désengagement de l’État est un renoncement de l’État à assumer sa part de contrat social avec les aînés du Québec, et a laissé littéralement au secteur des valeurs marchandes les rênes et les clefs de ce secteur. Sauf le coût financier. Car si, comme le montre une récente étude, 92 % des installations d’hébergent au Québec appartiennent actuellement au secteur privé[69], l’hébergement nous coûte cependant collectivement très cher, puisque 62 % des places achetées par le public sont gérées de façon privée. Tel que mis en place, ce système pose la question de la pertinence d’un financement public qui revient à subventionner les profits des actionnaires des quelques groupes de propriétaires impliqués dans ce marché.
3.3 « Les milieux de vie » comme image de la « résidence de rêve » au cœur du marché financier de l’hébergement pour aînés
Avec le marché de l’hébergement, que reste-t-il de la vision d’une hospitalité aux aînées respectueuse de leur être de leur dignité, quand c’est la loi de l’économie marchande qui prime ? Dans son reportage « L’or gris : les résidences privées pour aînés », l’émission Enquête de Radio-Canada met crûment le projecteur sur les conflits qui opposent résidents et investisseurs en matière de services : offrir une vie d’hôtel au quotidien, une vision de rêve de la vieillesse, mais à quel prix[70] ? En effet, le développement du « marché de l’hébergement » nécessitait une transformation profonde de l’image de l’hébergement pour aînés. En effet, pour vendre un produit ou un service, peu importe sa nature, il fallait que celui-ci corresponde à un besoin, et qu’il donne envie – ou qu’il soit rare –, pour trouver sa place dans le marché de l’offre et la demande[71]. Or, la sociologie a montré que la notion de « demande » est liée à la formation des identités individualisées (Giddens, 1991). Ces identités s’appuient elles-mêmes sur des « désirs », des « attentes », des « besoins » collectivement partagés qui expliquent qu’un très grand nombre de personnes puissent procéder à ces choix et acheter les produits proposés, venant nourrir la formation des marchés de masse. Cette « mise en forme de la demande » est en bonne partie à attribuer à la publicité et aux rationalisations, donc aux discours courants qui, en circulant, façonnent les goûts et les préférences des consommateurs autant qu’ils induisent une modification de l’offre en fonction de la mise en forme de la demande[72].
Au cœur du jeu de l’offre et de la demande se trouve donc un produit, un objet qui, pour être vendable et vendu, doit plaire à un bassin de consommateurs potentiels. L’objet de rêve, dans le cas qui nous occupe, c’est l’espace résidentiel de l’hébergement pour aînés. Pour le façonner, il fallait d’abord effacer la figure de l’hospice, trop associé à la pauvreté et l’indigence. Mais, pour donner un véritable essor au marché, il fallait aussi changer l’image d’une chambre en résidence pour personnes non autonomes, trop associée à la dépendance et à la mort. Ainsi, il fallait construire, non pas un nouvel objet, mais une nouvelle représentation d’objet : celle d’une résidence de rêve qui donne envie. Pour façonner la demande, des analyses de marché ont commencé à scruter les besoins, les rêves et les aspirations de leur cible, les aînés, ceux en place et ceux à venir. De ces analyses est né un nouvel objet de rêve : celui d’une vie de retraité au soleil d’une résidence 5 étoiles sécuritaire capable de prendre en charge l’ensemble des besoins des aînés, qui n’auraient alors plus qu’à profiter du plaisir de vivre. Vendue à grand coup de publicité, la création d’une image de résidence idéale pour aînés, pouvant satisfaire pleinement et entièrement ses clients, a permis au marché de se développer et de vendre son « produit » au plus grand nombre. Pour aller en résidence et se faire prendre en charge, nul besoin d’être pauvre, malade, ou en perte d’autonomie. Pour enfin pouvoir profiter pleinement et entièrement de sa vie, il suffisait d’avoir atteint la retraite.
La création de ces nouvelles résidences de rêve a eu un impact majeur sur l’organisation de la trajectoire du vieillir au Québec. En élargissant la clientèle visée du secteur des résidences aux personnes autonomes de 65 ans et plus, le marché s’est doté d’une clientèle beaucoup plus vaste. De plus, en orientant cette nouvelle clientèle vers un hébergement 5 étoiles vendu à grand coup de publicité, le marché a façonné un idéal qui a modifié nos attentes individuelles et nos représentations de ce que devrait être une résidence pour aînés. À tel point que des politiciens québécois font le pari d’investir dans un projet de « maisons des aînés », au coût de 800 000 $ la chambre, qui visent à prendre en charge les « besoins de sa clientèle en perte d’autonomie »[73]. Comment peut-on croire qu’à ce coût, il sera possible de répondre aux besoins réels d’hébergement sans cesse croissant en raison même du vieillissement de la population ? À ce coût, comment va-t-on penser le défi culturel et civilisationnel que constitue l’organisation du vivre-ensemble dans un Québec intergénérationnel et composer avec deux nouvelles générations d’humains qui occupent près de 25 % de sa population ?
3.4 La mission de « prise en charge des besoins » comme pierre angulaire de la domination des logiques marchandes
Le modèle d’affaire du marché privé, révélé au grand jour durant la crise sanitaire de la covid-19, continue à être basé sur l’exploitation d’une main-d’œuvre sous-payée, composée en grande partie de travailleuses racisées ou immigrantes, et d’une clientèle captive nécessitant des services facturés à prix fort[74]. Ce modèle entraine des problèmes de rétention de personnel et de pénurie de main-d’œuvre qui ont eu des conséquences dramatiques qui continuent encore à ce jour. Mais surtout, ce modèle entraine une perte de sens et une déshumanisation franchement inquiétante pour le devenir de nos collectivités.
Prendre au sérieux la manière dont l’organisation de l’hébergement aux aînés a été cédée aux « lois du marché » permet de commencer à réaliser comment le rêve des baby-boomers, qui reposait sur la construction d’un réseau d’accueil collectif et communautaire d’accueil et d’hospitalité, a été détourné de ses valeurs humaines pour être réduit à sa valeur économique. Sa mission première, qui était d’offrir un lieu d’hospitalité et d’accueil digne et humain à l’ensemble des citoyens nécessiteux, a été effacée au profit d’une mission qui surgit d’un objet de rêve fabriqué par les marchands d’illusions. Cette « mission marchande » participe à un idéal consumériste déshumanisant et funeste : celui de la « prise en charge des besoins » des aînés du Québec. Or, « prendre en charge des besoins » n’est pas faire hospitalité à un autre, à la fois semblable et étranger. Bien au contraire, la logique de « prise en charge des besoins » relève d’une logique de non-reconnaissance du sujet parlant, avec le risque inhérent de faire basculer les rapports institutionnels, humains et familiaux avec les aînés dans un rapport de dépendance et d’infantilisation.
Commençons par rappeler que la notion de prise en charge des besoins est une utopie issue du discours capitaliste et des logiques marchandes, qui sert les intérêts du marché, et qui s’inscrit dans la même logique que celle d’une croissance infinie dans un monde fini. De plus, le fait d’accoler ensemble les mots « prise en charge » avec « besoins » relève des logiques marchandes, en orientant la mission même des milieux d’hébergement et des centres de soins[75]. Ce déplacement est un déplacement de fond majeur. L’ordre du besoin et de la réponse au besoin, qui relève d’une logique consumériste[76], modifie la lettre et l’esprit de la valeur d’hospitalité en propulsant l’hébergement dans une nouvelle rationalité de clientélisme. Ce clientélisme vient inscrire les rapports institutionnels, les relations de soin, voire même les relations familiales, dans une logique de « prise en charge », et faire porter littéralement une charge extrêmement lourde.
En effet, la notion de prise en charge implique nécessairement un locuteur invisible à l’expression, soit le « preneur en charge ». Le preneur en charge, littéralement le « technicien des dépenses » est ici un Autre supposé, un Autre à qui incombe la responsabilité d’assumer la charge de ce qui manque, un Autre symbolique qui est à la fois partout supposé et nulle part présent. Il y a un Autre à qui revient la tâche de prendre en charge les besoins d’un autre humain. Une telle position de l’Autre, du point de vue de l’organisation psychique, correspond à une position infantile qui évoque un rapport parental. En cela, la logique du besoin nourrit l’infantilisation et la dépendance des aînés : dans la réalité, la place de l’Autre symbolique est occupée par la maison hébergement-médecin-pourvoyeur de soins, qui devient alors le « preneur en charge » des besoins des aînés. Ainsi, le « technicien des charges », soit celui qui entend et traduit la demande en besoin, se trouve littéralement en position d’avoir à trouver une réponse appropriée capable de satisfaire ce besoin. Ce discours est certainement très fonctionnel et efficace, mais quelle hospitalité cela laisse-t-il à un aîné pour parler de son vécu, de son expérience singulière et unique de son vieillir ? Ce discours n’a-t-il pas plutôt pour effet de refermer d’emblée le spécifique de la vieillesse dans une logique de perte et de manque que des objets pourraient venir combler ou, tout du moins, pallier ?
Comme le montre le quotidien dans les CHSLD et autres milieux d’hébergements, il arrive fréquemment qu’une personne demande à aller faire ses besoins et qu’on lui refuse : la couche ou, comme le veut le politiquement correct, la « culotte d’incontinence », devient le seul lieu pour faire ses besoins. Le besoin est satisfait, certes, mais à quel prix ? Que dire des bains non donnés, les soins de bases négligés, des repas de mauvaise qualité pour ne pas dire infects, par manque de ressources humaines, de finances bien placées, et de liens vivifiants ? Comment comprendre que, dans le même temps, des politiques pointent le besoin de divertissement des aînés, en envoyant des bébés phoques électroniques « agrémenter les gens » et leur « permettre de vivre des émotions »[77] ? Est-ce vraiment là le destin qui nous attend : être déplacé de sa communauté locale pour être placé dans un centre et finir sa vie « pris en charge » par les protocoles robotiques issus des chaines de montage en lieu et place d’un peu de chaleur humaine ? Sérieusement, est-ce cela que, comme société, nous souhaitons pour nous et nos proches ?
4- Conclusion et prospective : Repenser le vieillir par la reconnaissance et l’hospitalité des expériences du vieillir
N’est-ce pas précisément ce devoir d’hospitalité que nous avons cédé aux logiques marchandes en vendant notre réseau en pièces détachées ? N’est-ce pas précisément pour échapper à notre devoir d’hospitalité que nous continuons collectivement à vouloir transiger avec le marché des aînés, qui nécessite évidemment encore plus de financement public, même après le drame que fut le géronticide, et malgré les problèmes actuels criants ?
Le vieillissement de la population est un changement démographique majeur qui comporte son lot de défis. Or, nous ne pouvons pas continuer plus longtemps à évacuer sur la table des marchés financiers l’enjeu qu’il représente sans nous questionner sur notre devoir d’hospitalité, « de mettre du temps et de l’espace à préparer le feu, la place envers les humains de l’horizon qui sont de notre race » pour paraphraser Gilles Vigneault[78]. Ici, il ne s’agit pas de cantonner la question de l’hospitalité à celle de l’hébergement dans une logique de gestion de lit et de place, car c’est précisément parce que nous avons réduit la question de l’hospitalité à celle de l’hébergement que le marché privé a pu se développer dans une logique de marché indigne d’une civilisation qui veut encore porter ce nom.
D’un point de vue anthropologique, l’hospitalité est un devoir qui dépasse le simple hébergement physique de l’étranger. C’est une loi civilisationnelle qui engage la valeur de la parole donnée autour d’un pacte de non-agression : c’est une loi sacrée de fraternité humaine. Le principe d’hospitalité engage la valeur de la parole donnée comme fondement de la vie civilisée. Or, n’est-ce pas précisément cette dimension qui a été rompue depuis que les logiques marchandes se sont emparées du secteur de l’hébergement aux aînés ? N’est-ce pas précisément ce qui a volé en éclat lorsqu’au cœur de la tempête covid-19 on a refermé les portes de chambre des aînés pour les laisser mourir seuls et abandonnés ? Sortir les cadavres des garde-robes et des portes closes dans lesquels ils sont morts seuls et abandonnés, reconnaitre le deuil individuel et collectif de ces deuils qui nous concerne tous pourrait-il aider à reconstruire un lien de confiance entre les différents acteurs impliqués ? Sinon, comment espérer envisager encore d’aller y terminer ses jours ? Une fois dépliées, ces réflexions pourraient-elles conduire à réfléchir collectivement au drame survenu, non pas pour punir, mais pour transformer, créer et inventer d’autres modalités d’accueil et d’hébergements en accord à nos valeurs culturelles québécoises d’hospitalité, et non à celle des logiques néolibérales responsables de l’hébergement des aînés ?
En effet, comme nous venons de le déplier, si, il y a 40 ans, le choix de céder le secteur de l’hébergement des aînés aux logiques marchandes pouvait sembler pratique au cœur de la tempête de la crise financière des années 1980, nous le payons cher aujourd’hui : collectivement, individuellement, humainement : non seulement en argent sonnant et trébuchant par l’appauvrissement des familles, mais aussi en termes de perte d’humanité et de sens à l’existence. Ne nous leurrons pas : il y a dans le vieillissement une part d’impensé et d’impensable qui concerne directement l’échec de la médecine moderne. En effet, nous arrivons à prolonger la vie en termes de durée et d’années, mais nous découvrons avec effroi que notre science ne peut rien contre la cruauté de l’usure du temps qui passe, et qui dégrade le corps physique au point même de le rendre vétuste, parfois si vétuste que la vie se fait abjecte : quand par exemple, au bout de l’usure et de la dégradation matérielle, il ne reste de vivant qu’un corps couché en position fœtale, branché sur un puissant médicament qui maintient le corps « vivant ».
Cela pose une question fondamentale : comment penser la vieillesse en prenant en compte ce qui la caractérise, à savoir l’usure du temps qui passe, contre laquelle même la science qui sait prolonger la vie ne peut rien ? En effet, malgré tous les progrès, le temps use et marque le corps : cheveux blancs, perte des cheveux, rides, perte de capacités physiques, perte de capacités cognitives, perte de fonctionnalité, perte d’énergie, sont autant de dimensions qui font partie de l’expérience du vieillir. Le vétuste, la dégradation, l’usure du temps : c’est précisément ce qui, du temps qui passe, marque le corps et dont, pourtant, on ne parle pas. Ou si peu. Or, la vie vieille, c’est la vie usée. C’est dans l’usure de la peau comme impensé que se tissent les racines de la cruauté envers les aînés. Et cette dimension fait retour dans le discours courant sous la forme de stéréotypes où les vieux deviennent les représentants de tout ce que nous ne voulons ni voir ni subir dans notre monde de vivants en pleine effervescence. Nous ne supportons ni la lenteur, ni la maladie, ni la perte d’autonomie, ni, a fortiori, la mort. La vie vieille devient tellement insupportable qu’elle prend une dimension d’impensé qui fait retour sous une forme d’utilité pensée à la négative, et dépréciée : inutile, non fonctionnelle, inefficace, inutile. Pour ces raisons, les vieux se retrouvent exclus de la vie collective, une vie centrée sur le travail, et mis en retrait et à la retraite dans des milieux de vie faits pour les gens comme « eux ». Or, qui sont ces gens « comme eux », sinon des gens « comme nous » ?
Autrement dit, comment penser la dégradation du corps matériel et l’usure du temps intrinsèque au temps de la vie vieille ? Il y a dans ce destin une part d’impensé et peut-être d’impensable qui, ultimement, renvoie à la question de la fin de la vie : la mort. Lacan avait bien raison de dire que l’humain ne peut imaginer sa mort. Mais cela ne suffit pas : personne en fait ne peut s’imaginer être vieux, comme personne ne se veut cruel. Mais, ne pas être en mesure de le penser ne nous rend pas moins responsables de nos motions pulsionnelles. Bien au contraire, ce qui fonde la responsabilité humaine – seule arme contre la honte et la culpabilité –, c’est la capacité de reconnaitre et de répondre de ce qui nous agite, parfois même à notre insu. Il s’agit alors de se demander comment faire place et accueil à ces forces sombres, certainement pas de chercher à les « contrôler ou les maîtriser » dans une logique compulsive qui ne peut que maintenir la honte et la culpabilité à son point le plus élevé de résistance. Ouvrir la parole sur la cruauté envers les aînés, c’est rendre possible une mise en récit du vécu, chercher à en comprendre les racines et les effets pour les humaniser. Pour sortir de la honte et de la culpabilité, il s’agit de nous rappeler que la cruauté et la pulsion de mort font partie des tendances qui nous agitent. Notre devoir est alors d’en répondre, soit de le porter au travail de l’intelligence collective, là où « "l’Éros éternel" peut faire un effort pour s’affirmer dans le combat contre son adversaire tout aussi immortel »[79]. Une telle orientation pourrait-elle permettre d’ouvrir un espace de discussion collective pour sur la question pressante et urgente de l’accueil et l’hospitalité que nous souhaitons offrir aux personnes âgées ?
D’autant que, si la vieillesse comme la mort constituent un angle mort de nos vies, cela n’est pas par hasard, mais bien parce que, comme nous l’enseigne la psychanalyse, l’inconscient ne connait pas le temps. Alors, que le corps ait 20 ans ou 89 ans, l’inconscient ne s’en soucie guère : il a sa propre vie d’âme, ses propres rêves, ses aspirations qui, elles, sont increvables. Comment les personnes âgées arrivent-elles à concilier leur vie d’âme qui a toujours 20 ans avec ce corps qui se dégrade et s’use sur la cruauté des ailes du temps qui passe ? Inversement, comment nous, plus jeunes, percevons-nous, accueillons-nous ce miroir de notre destinée que nous renvoient ces corps usés, fatigués ? Quelle place cette rencontre miroir laisse-t-elle à l’accueil et l’hospitalité des personnes âgées ? Sommes-nous encore capables de laisser place à l’expression du rythme singulier de la vie vieille, à l’expression de ses aspirations, de ses rêves, de ses désirs, de sa sexualité, bref de sa part vivante ? Ou bien le scandale de la dégradation nous apparait-il si grand qu’il nous faille, de manière plus ou moins compulsive, chercher à y remédier, le pallier par différents moyens qui pourraient camoufler les affres du temps qui passe et use, malgré tous les soins médicaux qu’on y apporte ?
La dimension de la dégradation et de l’usure du temps propre à la vie vieille ne peut plus longtemps être balayée sous le tapis et traitée comme s’il s’agissait là d’une maladie ou d’un besoin à pallier par des produits pharmaceutiques, techniques ou technologiques. L’usure du temps qui passe, la dégradation du corps physique sont la marque du temps qui passe sur terre. Ce ne sont pas des dimensions extérieures aux vivants que nous sommes. Nous avons chacun en commun de partager le même destin individuel qui est celui du vieillissement, de la dégradation et de la mort. Comment appréhender cette composante intrinsèque du vivant et la penser dans une logique individuelle et collective qui permettrait de lui donner sens et cohérence ? Ce travail pourrait-il nous permettre de nous déprendre de la toile d’araignée dans laquelle nous sommes actuellement captifs et qui – faute de pouvoir penser la vie vieille dans sa dimension spécifique de dégradation – ne sait plus l’accueillir autrement qu’en termes de prise en charge des besoins, voire de vision repoussante, qui nous agite même à notre insu ?
Mais cela nous permettrait-il surtout d’aborder de front la question de la vie vieille dans son aspect de dégradation physique et d’ouvrir un espace pour que cette dimension taboue ne soit plus la marque exclusive de la vieillesse ? Est-ce que le temps qui use et dégrade, le temps qui passe, ne serait pas aussi le même temps qui préserve et ancre le désir increvable des humains que nous sommes ? Le désir, soit l’éclat singulier et unique de chacun, celui-là même qui s’ébauche dans la marge où la demande se déchire en besoin, n’est-il pas précisément ce qui est étouffé par l’impératif de la « prise en charge des besoins » qui anime et agite maintenant notre rapport aux aînés ? Ici, il ne s’agit pas exclusivement de dire que la sexualité et les relations amoureuses ne sont pas prises en compte, mais de démontrer l’étouffement de la vie vivante des aînés. Il s’agit ici de rappeler que le pain ne suffit pas à nourrir le corps ; pas plus que les rapports professionnels ne suffisent à offrir de la chaleur humaine aux aînés. Le sujet désirant se caractérise par le fait d’habiter un corps jouissant, un corps troué, un corps fragile, un corps qui se dégrade. Mais l’espace de vie du sujet, c’est la parole : une parole tissée de mots qui peuvent dire les maux, mais qui peuvent aussi élever la valeur de la vie à la dignité de l’humain, soit à la capacité de faire des métaphores, des métonymies, des mots d’esprit, des poèmes ; autant de véhicules privilégiés du désir comme du rêve et de l’espérance. Si la mort est devant les vieux, c’est vivants qu’ils sont vieux et c’est désirants qu’ils peuvent trouver des mots pour dire ce qu’il en est de leur savoir spécifique, et transmettre ce qu’il en est de leur propre expérience singulière de sujet parlant et désirant.
[1] Ces étudiants sont regroupés sous le terme DHCEU : ce sont des médecins venant de l’étranger poursuivant un « Diplôme hors Canada et États-Unis », soit une formation qui va leur permettre d’exercer au Québec.
[2] Centres d’hébergement de soins de longue durée.
[3] Mario Girard, « Combat contre la langue de bois », La Presse, 10 octobre 2022.
[4] « Le terme « âgisme » renvoie à deux concepts : une représentation prévalant dans la société qui caractérise les personnes âgées à partir de stéréotypes négatifs sur le vieillissement, ainsi qu’une tendance à structurer la société comme si tout le monde était jeune, de telle sorte que les besoins réels des personnes âgées sont ignorés.
[5] L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), L’âgisme est un enjeu mondial, 2021.
[6] L’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), le Département des affaires économiques et sociales (DESA) du Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies et le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA).
[7] La crise sanitaire de la covid-19 a amené une directive de non-réanimation générale dont les conséquences ont été de laisser mourir des personnes de tous âges en détresse. Cela a aussi amené le « comité des sages » à rédiger un protocole de priorisation des soins où l’âge apparait comme un facteur discriminant de l’accès aux soins. Caroline Touzin et al., « Une question de vie ou de mort », La Presse, 19 janv. 2021.
[8] François Legault, « Ma priorité, c’est de protéger nos personnes âgées », Site officiel Pandémie de la COVID-19, 7 avril 2020.
[9] Carol Patch-Neveu, « Une infantilisante surprotection des aînés », La Presse, 21 février 2022.
[10] Voir le rapport de l’INSPQ, Impact des comorbidités sur les risques de décès et d’hospitalisation chez les cas confirmés de la covid-19 durant les premiers mois de la pandémie au Québec, 14 décembre 2020.
[11] INSPQ, La prévalence de la multimorbidité au Québec pour l’année 2016-2017.
[12] Jean-François Mayer, « Pandémie : l’enfermement des personnes âgées », Ouvertures, vol. 4, Temps et passage.
[13] Stéphanie Marin, « Les idées suicidaires ont augmenté chez les 65 et plus », La Presse, 24 avril 2021.
[14] Alain Gravel, « Rencontre entre Alain Gravel et le gériatre et ex-homme politique Réjean Hébert », Les grands entretiens, Radio-Canada, 24 février 2021.
[15] De ceux-ci, 64,3 % (3 675 décès) ont été constatés en CHSLD, alors que les personnes qui y résident représentent 0,49 % de la population québécoise. Durant cette même période, les Québécois âgés de 70 ans et plus ont représenté 92 % des décès. Pas loin de 10 % des aînés vivants en CHSLD sont morts des suites de la crise de la covid-19, 944 décès, 944 en résidence privée pour aînés (RPA) et 217 dans les ressources intermédiaires et de type familial (RI-RTF). 40 % des résidents de CHSLD infectés par la covid-19 sont décédés, alors que ce taux était de 25 % dans les RPA, de 23 % dans les RI-RTF et de 2,2 % dans la population québécoise. Commissaire de la santé au Québec, La performance du système de soins et services aux aînés en CHSLD, Rapport d’appréciation 2022.
[16] Commissaire à la santé et au bien-être, Rapport de consultation – appel à témoignages 2021.
[17] Michèle Charpentier, Vieillir en milieu d’hébergement. Le regard des résidents. Presse Université du Québec, 2009.
[18] Laurence Niosi, « "Il n’y avait aucun respect" pour les morts au CHSLD Herron, selon une soignante », Radio-Canada, 14 septembre 2021.
[19] Voir la section sur l’hospitalité. Plus fondamentalement et profondément, c’est le devoir immémorial d’hospitalité qui a été mis à mal. L’hospitalité étant un des piliers de la civilisation ; le problème témoigne davantage que d’un malaise dans la civilisation. Il tend vers l’effondrement de la civilisation.
[20] Julien Simard, « Le gérontocide, forme extrême de l’âgisme ? », À bâbord. Revue sociale et politique, No 83, mars 2020.
[21] Julien Simard, « De la normalisation du gérontocide », Le Pivot, 26 janvier 2022.
[22] Gouvernement du Québec, Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022.
[23] Patrice Bergeron, « Les aînés disent avoir été infantilisés par le gouvernement Legault », Le Nouvelliste, 21 février 2021.
[24] Carol Patch-Neveu, « Une infantilisante surprotection des aînés », La Presse, 21 février 2022.
[25] Devant la force du regroupement et des témoignages, la ministre des aînés, Madame Marguerite Blais a avoué à demi-mot que son gouvernement avait fait de l’âgisme : « Est-ce qu’on a fait à quelque part de l’âgisme ? Il se pourrait ». Patrice Bergeron, « Le gouvernement pourrait avoir fait de l’âgisme, dit Marguerite Blais », Le devoir, 22 février 2022.
[26] Sophie Laublin, « L’infantilisation de la personne âgée en établissement gériatrique », Le journal des psychologues, 2008/3, p. 34.
[27] Sophie Laublin, « L’infantilisation de la personne âgée en établissement gériatrique », Le journal des psychologues, 2008/3, p. 34.
[28] Ce que, précisément, dénonce Hanna Arendt. Voir Eichmann à Jérusalem, Gallimard, 1991 [1963].
[29] Carol Patch-Neveu, « Une infantilisante surprotection des aînés », La Presse, 21 février 2022.
[30] Ce plan d’action comprend deux objectifs : « élimination de toutes les formes d’abandon, de sévices et de violence à l’encontre des personnes âgées » et la « mise en place de services de soutien permettant de faire face aux cas de mauvais traitements des personnes âgées ».
[31] Conseil national des aînés, Rapport sur l’isolement social des aînés 2013-2014.
[32] La démonstration « evidence base » a été faite. Voir M. Gorbien et A. Einstein, « Elder Abuse and Neglect: An Overview», Clinics in geriatric medicine, 2014.
[33] Gouvernement du Canada, Rapport sur l’isolement social des aînés 2013–2014, p. 9.
[34] Gouvernement du Canada, Isolement social des aînés, vol.1 : comprendre l’enjeu et trouver des solutions.
[35] Véronique Bilette et Jean-Pierre Lavoie. « Vieillissements, exclusions sociales et solidarités », M. Charpentier et al. (dir.), Vieillir au pluriel. Perspectives sociales, Presses de l’Université du Québec, 2010.
[36] Axel Honneth, « La théorie de la reconnaissance : une esquisse ». Revue de Mauss, 2004/1, 2004.
[37] Véronique Bilette et Jean-Pierre Lavoie. « Vieillissements, exclusions sociales et solidarités », M. Charpentier et al. (dir.), Vieillir au pluriel. Perspectives sociales, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2010.
[38] Hélène Guay, « Abus et maltraitance envers les aînés : quel est l’apport du droit ? », Revue du Barreau, t. 73, 2014, 265-317.
[39] Thérèse Lavoie-Roux, « Vieillir... en toute liberté, Québec », Rapport du Comité sur les abus exercés à l’endroit des personnes âgées, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Québec, 3e trimestre 1989.
[40] Hélène Guay, « Abus et maltraitance envers les aînés : quel est l’apport du droit ? », Revue du Barreau, t. 73, 2014, 265-317.
[41] « Par négligence on entend le manque d’un soignant à répondre aux besoins d’une personne âgée incapable de pourvoir à ses propres besoins. La négligence signifie lui refuser de la nourriture, de l’eau, des médicaments, des traitements médicaux, de la thérapie, des soins infirmiers, de l’aide ou de l’équipement thérapeutique, l’habillement, la visite de personnes importantes pour la personne âgée, ou encore ses droits ». Voir : Conseil des Aînés, Avis sur les abus portant sur les personnes aînées, septembre 1995, 6-7.
[42] Que ce soit sous une forme individuelle ou organisationnelle, la maltraitance apparait comme un problème relationnel complexe qui dépasse la relation maltraitant-maltraité, puisqu’il est influencé par des facteurs sociaux, politiques, culturels et institutionnels, ainsi que par des facteurs propres à la personne aînée, à la personne maltraitante et à l’environnement. Voir : Marie Beaulieu, Roxane Leboeuf, Caroline Pelletier, « La Maltraitance envers les personnes aînées », Rapport québécois sur la violence et la santé, chapitre 6, INSPQ, 2018.
[43] Gouvernement du Québec, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Plan d’action 2005-2010 : Un défi de solidarité : Les services aux aînés en perte d’autonomie, 2005, p. 35.
[44] Louis Plamondon, Négligence meurtrière chez les aînés - Quand la protection contre la mort évitable exclut les aînés vulnérables, 2010.
[45] Parmi les causes de mort violente subies par ces aînés, le chercheur a répertorié 394 suicides, 101 « accidents » (chutes d’un lit, d’un fauteuil ou d’un escalier pendant que l’aîné était porté par un tiers), 91 piétons heurtés par un véhicule, et 59 aînés décédés de négligence, dont 32 cas d’exposition au feu ou au froid excessif, 27 cas d’intoxication a des produits ou médicaments), 30 homicides, et 22 noyades dans une baignoire ou une piscine supervisée. Louis Plamondon. « Négligence meurtrière chez les aînés – Quand la protection contre la mort évitable exclut les aînés vulnérables », Les Cahiers de PV, février 2010
[46] Exemple d’actions concrètes : Sensibilisation du public au phénomène de la maltraitance, chaire de recherche universitaire, implantation d’une chaire de recherche sur la maltraitance en 2010. La Ligne Aide Abus Aînés (LAAA) entre en fonction le 1er octobre 2010.
[47] Initiative nationale pour la dignité des personnes âges, Into the ligh t: National survey on the mistreatment of older Canadians, 2015.
[48] Ce que le conseil qualifie d’avancée majeure se résume en 3 points. 1) Connaissance et reconnaissance de la maltraitance. 2) Cohérence et la complémentarité des actions menées par les partenaires venant de différents milieux ; 3) Amélioration des connaissances sur le phénomène de la maltraitance. L’amélioration ne concerne donc pas la situation des aînés en tant que telle, mais une meilleure connaissance du problème. On peut certainement se demander à quoi sert une meilleure connaissance si les personnes sont toujours maltraitées.
[49] Gouvernement du Québec, Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022.
[50] Gouvernement du Québec, Enquête sur la maltraitance envers les personnes aînées au Québec.
[51] Dominique Cupa, « La pulsion de cruauté ». Revue française de psychanalyse, 66/4, 2002, 1073‑1089.
[52] Jean-Paul Matot, « La cruauté et les avatars de la subjectivation », Les cahiers de psychologie clinique, 22/1, 2004, 29-54.
[53] Freud, Trois Essais sur la sexualité, Gallimard, Paris, p. 68.
[54] Freud, Trois Essais, p. 81.
[55] Freud, Trois Essais, p. 85.
[56] Jean-Paul Matot, « La cruauté et les avatars de la subjectivation », Cahiers de psychologie clinique...
[57] Julien Simard, « Vieillir dans une société néolibérale », Relations, 803, juil-aout 2019, 36-37.
[58] 18 % en plus chez les 75 ans et plus vivent en maison d’hébergement contre 6 % dans les autres provinces. Jean-François Nadeau, « Les personnes âgées sous de mauvais auspices », Le Devoir, 6 mai 2020.
[59] Dictionnaire en ligne Larousse.
[60] Martin Deleixher, « L’hospitalité, égalitaire et politique ». Terra HN 13, Nov. 2014-Sept. 2016.
[61] Étienne Balibar, Le droit à la circulation et de l’hospitalité comme droits fondamentaux, Conférence à l’Écomusée du fier monde, 22 octobre 2018.
[62] Anne Gotman, Le sens de l’hospitalité. Essai sur les fondements sociaux de l’accueil de l’autre, PUF, 2001.
[63] Alan Montefiore, Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Monique Canto-Sperber (dir.), Paris, PUF, 1996, p. 691-697.
[64] Alan Montefiore, Dictionnaire d’éthique, p. 691-697.
[65] Michèle Charpentier, Priver ou privatiser la vieillesse. Entre le domicile à tout prix et le placement à aucun prix, Presses de l’Université du Québec, 2002.
[66] Claude Castonguay et Gérard Nepveu, Rapport de la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social, Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social, Québec, 1967.
[67] Centre local de services communautaires.
[68] CSN, La privatisation tranquille du système de santé et de services sociaux.
[69] Louise Boivin et Anne Plourde, Propriété et profit dans l’hébergement de longue durée au Québec. Portrait préliminaire, 2020.
[70] Johanne Faucher, « L’or gris : les résidences privées pour aînés », Radio-Canada, Reportage, 2020.
[71] La loi de l’offre et de la demande est centrale dans une économie de marché, pour qu’une transaction commerciale ait lieu. Sans demande, pas d’échange ni marché.
[72] Geneviève Teil, « Faire acheter : le marketing de l’offre, une mise en marché sans configuration de la demande », Économie rurale, 286/287, 2005, 8-27.
[73] Daniel Boily et Davide Gentile, « Des maisons pour aînés à 800 000 $ la chambre », Radio-Canada 8 juin 2022.
[74] Louise Boivin et Anne Plourde, Propriété et profit dans l’hébergement de longue durée au Québec. Portrait préliminaire.
[75] Sur la notion de besoins et son lien avec l’idéologie néolibérale et le discours capitaliste, voir entre autres : Ivan Illich, La société conviviale, Le passager clandestin, 2020.
[76] Razmig Keucheyan, Les besoins artificiels. Comment sortir du consumérisme, Lyber, 2019.
[77] Ainsi, au coût de 200 millions $, des phoques ont été intégrés dans les CHSLD comme source de divertissement et d’activité pour les aînés.
[78] Gilles Vigneault, « Gens du pays ».
[79] Freud, Malaise dans la civilisation, 1943 [1930].