2ème Appel à contribution, Pop Culture, vol. 6

Vol. 6 Pop-culture — Octobre 2022

 

Appel à contribution : Pop culture vol. 6

Sous la direction de Sébastien Falardeau et Marie-Ève Garand

 Vous pouvez télécharger en PDF l’appel à contribution en cliquant ici ou le consulter ci-dessous.

Sébastien Falardeau est intervenant en pastorale de la santé en milieu hospitalier et en pratique privée au New Hampshire. Ses champs de recherche portent sur : la clinique en pastorale de la santé en milieux hospitaliers, la théologie de la psychiatrie, l’histoire des soins spirituels et soins pastoraux, mais aussi la métaphysique, l’ontologie, l’herméneutique, l’épistémologie, Augustin et la philosophie française, la théologie de la Pop Culture, du queer et du transgenre. Il est candidat au doctorat en théologie.

Marie-Ève Garand est directrice du CEINR depuis 2005. Elle est théologienne et psychanalyste, professeur associée en formation clinique de la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke et professeure invitée à l’Université de Montréal. Elle dispose de plus de 15 ans d’expérience en intervention dans différents milieux communautaires et scolaires. Détentrice d’un doctorat en science des religions et d’une maîtrise sur la question spécifique de l’écoute et de l’intervention auprès des adeptes et des anciens membres de groupes sectaires, les recherches de Mme Garand se concentrent notamment sur la question des liens entre croire, santé, et quête à exister.

Appel à contribution :

L’appel à contribution du 6e numéro d’Ouvertures porte sur la « pop culture », un sujet aux contours mouvants et aux enjeux de société réels. P.O.P ! Comment entendre ces trois lettres ? « La culture, dans son sens le plus large, peut être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels et affectifs caractéristique d’une société ou d’un groupe social »[1]. L’UNESCO y englobe les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. Que vient changer l’ajout du mot « pop » ? Assurément, il faut sortir la culture des officines des gardiens d’une culture patrimoniale transmise par les élites, les universités et autres milieux dits « autorisés », pour rejoindre le peuple. Pour saisir le champ dans lequel se situe cet appel à contribution, il importe de cerner ce que recouvre, dans ce numéro, la culture populaire.

Selon Lucy Grig, la culture populaire remonte aux jeux du cirque romain, qui avaient un but de régulation sociale[2], comme préfiguration de la fabrique à culture populaire organisée par et pour les élites. Mais sur son versant contemporain, la pop culture, dont l’étymologie anglo-saxonne vient de « popular », c’est la culture du peuple : celle qui vient du peuple, pour le peuple et qui est appréciée par le plus grand nombre. C’est une culture de masse. Émergeant de la Première Guerre mondiale, la pop culture a conquis le monde dans les années 50-60. Le dénominateur commun d’une culture populaire tend à se définir par sa capacité à toucher la masse du peuple, ainsi que du fait de sa séparation d’avec celle des élites bourgeoises, politiques, universitaires ou médiatiques, qui la jugent mineure, voire triviale, donc non crédible au vu de la culture officielle, dite « haute ». Les deux types de cultures sont donc mis en opposition, voire en conflit : la « grande » culture serait plus vraie, plus valable que la « pop culture », émergente, vive et plurielle ? Devrait-on les opposer ? Cela parait d’autant plus difficile que, dans des sociétés capitalistes, la culture s’est amalgamée à la « culture de masse », portée par des voies commerciales, universitaires, politiques et médiatiques, au point de conférer à la pop culture une valeur économique et financière.

Mais d’économique et financière, la pop culture est devenue identitaire. Le marché de la pop culture est venu mettre directement en jeu les identités individuelles et sociales. En faisant éclater de manière durable la possibilité même d’une transmission culturelle hiérarchique et verticale, la « pop », comme mouvement horizontalisé « de la marge vers le centre », est devenue un mouvement d’expression identitaire directement lié à notre manière d’habiter le monde. Or, la pop culture, qui impose de se faire voir, de se montrer, de s’exposer en revêtant un style et en énonçant une opinion, posés comme identitaires, n’en vient-elle pas à mettre en jeu les opinions et les identités culturelles et individuelles à un point extrême tel qu’elle pose un risque réel d’éclatement culturel qu’on voie se manifester par un climat d’opinions tranchées, et dont les médias se font à la fois les instigateurs et les chambres d’écho. Jusqu’où cet éclatement de culture populaire pourrait-il aller ? Autrement dit, comment faire en sorte que l’élan et la furie d’un certain type de « pop culture » ne deviennent pas à ce point éclatant qu’il pourrait conduire à un éclatement même des fondements de notre civilisation ? Car, comment faire civilisation si l’individu devient le seul dénominateur commun ?

Fort de ce préambule, ce volume vise à cerner deux axes. Le premier consiste à interroger la pop culture comme discours de et sur ce qui nous constitue comme expression vivante, car la récupération de la pop culture par le politique a créé un phénomène de confusion des discours et une crise de crédibilité qui posent autant d’enjeux éthiques à questionner. Ainsi, le discours sur la surmédicalisation de l’existence, qui suit la tendance lourde de la judiciarisation de l’existence[3], en vient à déposséder les humains que nous sommes de notre propre rapport à la santé. De plus, avec le développement des réseaux sociaux, la tendance au corps sain hypermédicalisé a provoqué une confusion des discours, phénomène qui s’est amplifié pendant la pandémie, dont chacun a pu voir les effets délétères et pernicieux. Ainsi, l’omniprésence des réseaux sociaux demande de repenser le traditionnel rapport à la marge de la pop culture et de ses liens avec la culture dite officielle. Est-il vrai qu’il n’y aurait plus de distinction entre la culture populaire et culture officielle[4] ? Comment cerner la complexité des interrelations en jeu ?

Le second axe vise à explorer ce que la pop culture porte d’enjeux identitaires, qui nous traversent à la fois subjectivement, culturellement et politiquement, y compris à notre insu. Comment articuler les rapports entre les expressions de la culture officielle et celles de la culture populaire en portant attention aux enjeux identitaires et collectifs qui en émergent ? La pop culture, traditionnellement considérée comme source de créativité, a-t-elle encore la capacité de nous redonner un élan de créativité capable de soutenir la vie plutôt que de continuer à laisser se répandre une culture de mort et de destruction, telle que propulsée par la culture officielle ?

Ainsi posée, la pop culture n’est certainement pas un objet mis à l’extérieur qu’on pourrait maintenir à distance. Nous sommes chacun pris dans cette culture qui n’est pas étrangère à la pulsion de mort dont parle Freud :

Les hommes sont maintenant parvenus si loin dans la domination des forces de la nature qu’avec l’aide de ces dernières il leur est facile de s’exterminer les uns les autres jusqu’au dernier. Ils le savent. De là, une bonne part de leur inquiétude présente, de leur malheur, de leur fonds d’angoisse. 

Interroger la pop culture pour mieux cerner les rapports entre éros et thanatos pourrait-il ouvrir de nouvelles pistes de discernement ? Interroger la manière dont le rapport discursif nous fonde comme humain parlant, capable de créer, de transmettre et de sauvegarder, mais aussi de détruire, permettrait-il de mieux cerner comment la culture, comme ce que nous habitons comme humain, structure et traverse nos identités comme personnes et comme peuples ?

En effet, si, comme le dit Heidegger, le « langage est la maison de l’être », la culture, loin de pouvoir se réduire aux salles de musées ou de spectacles, se décline dans une multiplicité d’expressions, de langues et de modalités aux accents et saveurs variés. Ainsi, la culture d’un peuple peut se vivre comme trésor culturel vivant, en lien avec la fonction civilisatrice de la parole. Mais, en raison même de cette fonction, la parole, si elle est source de civilisation, peut tout autant être source d’enfermement et de destruction. En effet, n’oublions pas, comme le souligne Lacan, que la culture est garante du langage, qui nous préexiste. Le langage, c’est la maison de l’être, et c’est aussi une « maison de l’horreur », une aliénation à laquelle chaque parlêtre que nous sommes est soumis. Fort de ces balises, quelle culture populaire transmettons-nous ? Pourquoi ? À quelles fins ? Telles sont les pistes de réflexion que ce numéro veut ouvrir.

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[1] UNESCO. Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982. http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-URL_ID=12762&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

[2] Lucy Grig, Popular culture in the ancient world, Cambridge University Press, 2017.

[3] « Quand le jugement fout le camp », titrait Jacques Grand Maison dans une contribution majeure invitant à réfléchir à l’évolution d’une société québécoise et nord-américaine qui s’en remet de plus en plus à une logique juridique pour régler les différents problèmes. Il en dénonçait les effets pernicieux, car ce mouvement se fait au prix de ce que l’humain a de plus spécifique : son discernement, son intelligence critique, sa conscience, sa liberté intérieure et sa capacité à faire des choix. (Fides, 1999).

[4] John Storey. Cultural theory and popular culture: an introduction, Routledge, 2006.